Si vous aimez découvrir d’autres mondes, allez voir l’exposition de photos de Claudia Andujar à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain à Paris. Dans un dispositif muséographique immersif, vous apprendrez l’histoire de la photographe et sa rencontre avec les Yanomamis. Vous retrouverez la lutte à laquelle elle s’est attachée afin que les Yanomamis soient « un peu plus respectés ».
Claudia Andujar rencontre les Yanomamis en 1971, elle a quarante ans et elle se sent spontanément bien en leur compagnie. Dans l’une des vidéos qui jalonnent le parcours muséographique, elle raconte qu’enfant, délaissée, elle écoutait avec avidité les bonnes de la maison parler de leur propre enfance dans des villages reculés.
Claudia photographie ces personnes et ce faisant elle photographie sa famille. C’est un album dans lequel on retrouve les moments de la vie quotidienne et les fêtes, les naissances, ceux qui sont morts depuis. Un passage d’une vidéo est d’ailleurs éloquent à ce sujet, Claudia rend visite au village, on fait une photo de groupe filmée, la famille restreinte Yanomami est alignée autour d’elle. La caméra caresse les visages, les corps, les grands derrière, les petits devant, les femmes, les enfants. Claudia, maintenant âgée, assise dans sa chaise roulante, appuie sa tête affectueusement contre la femme qui se trouve à sa droite. Ils sont immobiles, la caméra poursuit son mouvement et des rires plus ou moins timides fusent chez deux femmes qui posent sagement, la caméra revient sur Claudia qui embrasse une main, une fois, une seconde fois, puis répète encore et encore ce baiser qui dit tout son attachement. Et l’homme à qui appartient cette main, Davi Kopenawa, est embarrassé, on le sent, même s’il ne le montre pas, et il s’en explique en disant en aparté « j’ai les mains sales ». Et comme c’est une photo de groupe tout le monde reste bien en place, et la joie contamine la petite troupe devant l’absurdité de la situation.
Ce sont ces personnes devenues ses proches, qui sont, depuis bien avant leur rencontre, menacées par la « civilisation » depuis le milieu du siècle dernier. Claudia qui a perdu son père assassiné par les nazis, elle-même exilée de sa Roumanie natale, tente de limiter l’extermination des Yanomamis en leur apportant des moyens de communiquer, de combattre et de se faire connaître au monde des Blancs.
Il y a une dimension ethnographique forte qui permet d’entrer dans les rites et les coutumes mais aussi dans l’histoire de la rencontre des Yanomamis avec les blancs. Exposer tout ce « matériel » d’étude et de témoignage est un moyen de sensibiliser, de lutter. Plus nous connaîtrons, plus nous accepterons, plus nous défendrons.
Et puis il y a les dessins des Yanomamis. Claudia a apporté des objets inconnus, des cahiers et des crayons et leur a demandé de dessiner, de se représenter et aujourd’hui certains d’entre eux sont devenus des artistes au sens où nous l’entendons. La Fondation qui soutient les Yanomamis depuis les années 1970 a acquis un fond de ces dessins. Ses liens avec le peuple Yanomami sont souvent rappelés au fil des expositions.
Claudia Andujar est une photographe d’envergure, elle n’est pas moins artiste parce qu’elle se consacre exclusivement à sa nouvelle famille. Nous découvrons ces images qui témoignent de son monde intérieur, de sa pluralité et de son éclectisme. Avec ou sans effets de floutés ou de colorations, les photographies présentées sont souvent magistrales. Certaines images font penser à d’autres grands artistes, peintres ou photographes. Alors qu’un nombre croissant d’artistes prennent une posture militante au sujet de l’écologie, tirent la sonnette d’alarme, s’émeuvent de la folie des hommes, s’inquiètent du devenir de « la nature », enregistrent les sons des animaux sur terre, dans l’air et dans l’eau, se font archivistes, témoins d’un monde qu’ils voient disparaitre sous leurs yeux, Claudia Andujar qui a mis « sa carrière artistique de côté en faveur de la lutte » apparait comme une figure d’avant-garde.
A l’occasion de cette exposition et pour notre grand plaisir la Fondation Cartier renoue avec les expositions puissantes après deux expositions un peu faibles, disons-le. C’est donc le moment de vivre une expérience riche, dense et salvatrice. On reste facilement deux ou trois heures durant, plongés dans les mondes croisés des Yanomamis et de Claudia Andujar.
Alegría Tennessie
Exposition Claudia Andujar, La Lutte Yanomami, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris, du 30 janvier au 10 mai 2020.