Le 1 c’est le tiers, l’autre, l’alter. Au début, au commencement, ils étaient 1 ou 1 et 1. Peu en tout cas sur les premières œuvres de la série. Ce 1 rouge dont la calligraphie a été soigneusement étudiée, cette forme simple retravaillée et finalement adoptée, est une unité de personne. 1 = un humain qui passe de sa présence sur un territoire donné à sa représentation sur un plan, territoire en deux dimensions. Une page blanche est la représentation d’un espace aussi bien qu’un papier plié en trois (tiers). Les territoires sont simplement ces papiers pliés qui, au fur et à mesure que le travail progresse, deviennent une jupe plissée toujours de papier. Cette jupe est représentée, dessinée et puis le 1 se perd, le dessin de la jupe de papier absorbe toutes les intentions.
Et finalement ce 1 multiplié dans un espace donné, foule d’individus isolés, apparaît comme un nuage de petits symboles simples, épurés, solides et vulnérables dans leur verticalité, dans leur unicité. Nuage de points, présences biologiques, rayonnement infrarouge. Ils sont comme les lettres des mots, les mots qui énoncent les éléments d’un espace, inspiration première de l’artiste qui a commencé ce travail pendant ses études aux Beaux-Arts.
« 1 » frappés par la machine à écrire, son et impact de la pointe formée qui s’imprime dans le papier quand le doigt tape sur la touche. La sérigraphie ne porte plus cette empreinte mais la calligraphie, la position aléatoire des signes sur la page, le son du papier qui s’enroule avec la manipulation de la molette sont quelque part dans cette œuvre à dimension littéraire.
Issue d’une réflexion conceptuelle, la sérigraphie 1 porte en elle une dimension vivante, parcours aléatoires, nuée d’humains. Un questionnement est ici en germe, qui va se développer dans les travaux ultérieurs de Pierrette Gaudiat. Ce 1 est-il davantage qu’un organisme biologique apparu sans raison apparente sur le territoire ? Qu’en est-il de sa conscience ? L’espace qui le contient est-il neutre ? La question du vide, du partage de l’espace, se dessine et s’affirme dans d’autres séries telles que : Autre nature ou Les oiseaux.
AT. Votre travail comporte une dimension poétique, est-ce pour vous un point de départ lorsque vous envisagez un travail ou bien est-ce un aboutissement qui s’impose de lui-même ?
PG. Ce n’est pas un point de départ, mais mon travail est fait de lecture et le sens des mots est pour moi très important. Le corps et le mot sont la base de mon travail. L’un peut exister sans l’autre et inversement, et le simple fait de combiner leurs expressions les plus élémentaires, un décalage s’effectue. Apparaît, alors, peut-être un autre langage avec une dimension poétique.
AT. Vous avez des références littéraires, quelles sont-elles et comment se relient-elles à votre travail ?
PG. Lorsque j’étais étudiante, les textes de Samuel Beckett m’ont confortée dans ma démarche. Avec Beckett le corps existe et se passe de mot ; la réalité c’est le corps. Plus que les mots, il écrit les modalités des corps. Il y a un espace entre le corps et le mot. C’est dans cet intervalle que tout est possible ou impossible. Dans mes partitions, lorsque le mot apparaît, 1 disparaît. Il y a aussi chez Beckett la question de l’autre, un autre que moi ; Dans « l’épuisé » qui accompagne « Quad » de S. Beckett, Gilles Deleuze dit « c’est toujours un Autre qui parle, puisque les mots ne m’ont pas attendu et qu’il n’y a de langue qu’étrangère ». Dans la série « Tiers », mais surtout dans les performances et les livrets-partitions, il est aussi question de l’autre extérieur à soi, de la singularité fragile de chacun, de la solitude dans la multitude, de l’altérité.