Au pays des merveilles de Juliette
Juliette vit avec son bébé de huit mois dans un petit appartement de 34 m2. C’est une jeune femme angoissée, craintive, qui a trouvé le courage de faire un bébé toute seule, grâce à la PMA.
Elle a peur que son ancien mec réapparaisse, celui qui l’a tant fait souffrir, qui l’a maltraitée pendant des années, qui a profité, abusé de sa faiblesse, qui l’a terrorisée. Mais ce sale type est en prison, il ne peut plus rien lui faire. N’empêche qu’elle surveille tout le temps ce qui se passe quand elle sort dans la rue. Elle regarde derrière elle, dans les reflets des vitrines, elle est sur le qui-vive en permanence.
Louise Mey raconte quelques heures de la vie de cette femme autrefois battue, maintenant en reconstruction. Une femme qui essaye de s’en sortir, qui a changé de ville, s’est abritée derrière deux digicodes, qui prétend au bonheur, seule avec sa petite fille qu’on imagine toute potelée et toute gazouillante. Les scènes avec la petite, les dialogues, les attentions qu’elle lui porte, la douceur dont elle fait preuve à son égard sont décrites avec délicatesse, précision, lyrisme même. On comprend que la mère ne veut pas que sa fille traverse les mêmes tourments, elle veut la protéger de tout, le monde est tellement plus dur pour les femmes. Elles vivent de manière fusionnelle, peu de personnes ne viennent les déranger, si ce n’est la voisine anglaise, une adorable vieille dame qui vient prendre le café le matin.
« Elle avait déjà dû justifier les ponts coupés, les liens lâches, sa quasi-disparition, l’homme qui l’avait peu à peu enfermée à ses côtés, c’était déjà assez humiliant de reconnaître qu’elle avait fait partie de ces femmes qui se font avoir, qui pensent tomber amoureuses, alors qu’elles trébuchent, s’emmêlent, se prennent les pieds dans un piège soigneusement préparé, hébétées de caresses, d’attention, de mots, de gestes, de silences, de menaces, de coups. »
Le roman est très immersif, on est dans la tête de Juliette, on ressent parfaitement son angoisse, ses joies aussi, on est fragile tout comme elle et quand la catastrophe arrive, on est liquéfié de terreur avec elle. Louise Mey aime écrire de longues phrases peines de virgules, avec le souci du détail, la mise en avant des petits riens de la vie quotidienne. L’effet est quasiment hypnotique, on aimerait se détacher de ce qu’on lit, mais ce n’est pas facile. Cette histoire nous enveloppe et nous entraîne avec Juliette qui est prise dans un tourbillon dont elle a du mal à se défaire, malgré tous ses efforts, malgré toute sa préparation, malgré toutes ses alertes. Elle tourbillonne malgré le fait qu’elle compte pour calmer ses angoisses. Elle compte des objets, ou alors elle compte le temps qui passe, tentant de le faire ralentir, sinon il va trop vite et elle n’a plus aucune maîtrise. Elle compte pour calmer la peur, elle compte pour laisser le temps à l’autre Juliette, la courageuse, celle qui ose, celle qui dit non, lui laisser le temps de s’imposer dans sa tête où sinon tout est rapidement en vrac, et alors son corps n’est plus qu’une chiffe molle.
Un livre très fort, très prenant, avec une réflexion sur ce qui amène certaines femmes à être maltraitées par des prédateurs, sur l’emprise mais aussi sur la révolte, avec une fin claquante dont je ne dirai rien.
Un livre à lire, bien sûr.
François Muratet
34 m2 de Louise Mey, Éditions du Masque, mars 2025
Photo © Adèle O’Longh