À temps brouillés, lecture d’un essai en miroir
Le 10 mai 1933, les livres de Zweig ont été les premiers à être brûlés en Autriche, dans le bûcher nazi qui a suivi de près la prise de pouvoir d’Hitler. Dans son essai sur Montaigne, publié à titre posthume en 1942, Zweig nous a laissé un récit intime qui est autant un portrait de Montaigne qu’un autoportrait. Il y livre ses propres réflexions sur l’exil, la perte et la quête de sens dans un monde en ruines. En pleine Seconde Guerre mondiale, Zweig trouve dans les écrits de Montaigne un rempart contre l’effroyable et une possibilité de résilience.
« Les Essais ne sont pas un système philosophique, mais une conversation intime avec soi-même, une exploration de l’âme humaine dans toute sa complexité. Il doute de tout, mais il doute avec bienveillance, avec une curiosité insatiable et un amour profond de la vie. »
Que faire dans une époque aussi troublée ? Zweig montre comment Montaigne, avec ses doutes systématiques, parvient à se créer un espace de résistance intérieure, et partant de sérénité. Il voit dans sa défense de la tolérance et son rejet des dogmes, un modèle de résistance face à toutes les formes d’oppression.
« Montaigne est le protecteur de l’homme libre, celui qui reste debout dans le chaos. Il ne cherche pas à imposer des vérités, mais à partager ses doutes et ses réflexions, invitant le lecteur à faire de même.(…) Les Essais ne sont pas un système philosophique, mais une conversation intime avec soi-même, une exploration de l’âme humaine dans toute sa complexité. »
À l’heure des récits tronqués et des réalités parallèles qui ne se croisent jamais, lisons ou relisons donc l’ami Zweig, qui avait trouvé en Montaigne, et son opiniâtreté à garder un esprit critique, un refuge pour ne pas devenir fou.
« C’est dans cette fraternité de destin que Montaigne est devenu pour moi le secours, le consolateur et l’ami indispensable. (…) Montaigne est un toi dans lequel mon moi se reflète ; ici est abolie la distance qui sépare une époque de l’autre. »
Kits Hilaire
Montaigne, de Stefan Zweig, Le Livre de Poche, 2019
Photo : Écritures de nuit 13 © Adèle O’Longh