Trust me for a While
de Yngvild Aspeli

Dans La Classe morte de Taddeuz Kantor, une classe de vieillards, portant chacun sur leur dos un mannequin de l’enfant qu’ils furent un jour, retournait sur les vieux bancs d’une école pour revivre leurs souvenirs d’enfance. Une classe en décomposition jouait ainsi une danse macabre, chaque personnage replié sur ses obsessions puériles. Dans la salle, certains pleuraient, d’autres riaient ou restaient silencieux, marqués à jamais par cette traversée du miroir.

Les marionnettes ventriloques interagissent, elles, directement avec le comédien manipulateur qui assoit le mannequin sur ses genoux et commence un dialogue, sorte de partie de ping-pong verbale durant laquelle le pantin paraît doté d’une existence propre qui dépasse son animateur. La poupée d’Yngvild Aspeli a une présence attirante, avec son air bonasse et repoussant à la fois, telle un spectre venu de l’autre côté du Styx, dans un état intermédiaire entre la vie et la mort. Sur la scène nue, trois panneaux à roulettes soutiennent des rideaux aux dorures clinquantes de cirque.

Puis, tout se détraque et l’on plonge dans le gore de Shining, les monstres de nos terreurs enfantines bondissent comme dans les films d’horreur. Avec Trust me for a While, Yngvild Aspeli retrouve l’enfance de l’art, la relation directe entre le marionnettiste et sa créature. Un magicien médiocre et une marionnette ventriloque, jalouse de son mentor, vont s’affronter, le pantin armé d’un couteau allant jusqu’à martyriser son créateur.

Ce spectacle d’horreur drolatique nous pose de multiples questions : quelles situations nous amènent à perdre la tête ? Sommes-nous si sûrs de tout contrôler ? Qu’est-ce qu’on montre et que cache-t-on ?

On mesure la complexité de cet art ; jouer et se mettre en retrait, maîtriser les corps et les espaces, travailler sur le déséquilibre, reprendre le même geste et l’amplifier jusqu’au gigantisme : la grammaire de la manipulation conjugue arts plastiques, dramaturgie et scénographie.

Dans ce spectacle, les acteurs-marionnettistes désossent l’avatar pour montrer les techniques de manipulation ; à la fin, la manipulée utilise les manipulateurs pour illustrer la condition humaine, terrifiante et jubilatoire, mise en abyme de nos fonctionnements.

Le spectacle, avec trois jeunes comédiens fraîchement sortis de l’École nationale supérieure des arts de la marionnette, offre une horreur jouissive tant la transgression et la sublimation de nos pulsions meurtrières sont nécessaires. La marionnette revisite la dialectique du maître et de l’esclave dans une maison de poupée décapante, saisissante et profondément juste !

Sylvie Boursier

Crédit photo : Vincent Arbelet

Trust me for a While, conception et mise en scène : Yngvild Aspeli, dans le cadre de la Biennale internationale des arts de la marionnette.
 Du 19 au 21 septembre 2025 – Festival Mondial du Théâtre de Marionnettes 2025 – Charleville-Mézières (Ardennes). 
Les 18 et 19 novembre 2025 – Le Sablier, Ifs.
 Le 21 novembre 2025 – Le Passage, Fécamp. 
Le 23 novembre 2025 – Marionnettissimo, Tournefeuille.
 Le 14 mars 2026 – Festival Marto, Montrouge.
Le 23 novembre 2025 – Marionnettissimo, Tournefeuille.
Le 14 mars 2026 – Festival Marto, Montrouge.