Hommage vibrant du réalisateur Pere Joan Ventura à un jeune partisan italien assassiné par les franquistes en 1949, Un vas d’aigua per a l’Elio (Un bicchiere d’acqua per Elio) a reçu le prix du meilleur film documentaire du festival international du Court Métrage de Lovere 2019.
À travers ce film bouleversant, le prix récompense le retour d’un enfant du pays, Elio Ziglioli, dont la dépouille est revenue en Italie après 70 ans passés dans une fosse commune à l’extérieur du cimetière de la ville de Castellar del Vallès, près de Barcelone.
Elio a été exécuté par des agents de la Guardia Civil espagnole peu après avoir passé la frontière. C’était un maquisard, un jeune homme qui venait poursuivre la lutte antifasciste en Espagne, après la libération de l’Italie et de la France. C’était sa première mission dans le pays.
Entre 1945 et 1949, lorsqu’ils ont compris que rien ne serait fait contre Franco, campé dans le dernier bastion du triumvirat fasciste, une partie des soldats anarchistes espagnols qui s’étaient engagés dans la guerre contre les nazis ont intégré le maquis. Elio avait rallié un de ces groupes libertaires. Il avait vingt-deux ans, était internationaliste, parlait l’espéranto, le français et l’espagnol, et voulait poursuivre la libération.
Il a été arrêté et torturé une nuit entière avant d’être abattu le jour suivant.
Le documentaire commence avec une femme qui raconte le souvenir qu’elle a gardé du garçon pouvant à peine marcher qu’elle a vu passer, enfant, le jour de sa mort. Elle se souvient de sa jeunesse, de son corps supplicié, ses vêtements poisseux, de ses mains attachées. Elle raconte comment sa mère lui avait donné un verre d’eau, le portant elle-même à ses lèvres parce que ses poignets étaient cassés, ce verre qui donne son nom au film : Un verre d’eau pour Elio.
C’est en faisant des recherches sur un maquisard célèbre nommé Sabaté que des historiens catalans sont tombés sur Elio Ziglioli. Sa fiche, avec un sarcasme propre au franquisme, mentionne à Cause de la mort : Hémorragie traumatique, à côté de la photo d’un cadavre disloqué auquel il manque la moitié du visage emportée par un tir. Est noté également son lieu de naissance, Lovere, Italie. Sans trop d’espoir les chercheurs ont écrit à la mairie et à la bibliothèque de la petite ville lombarde et ont eu la surprise de recevoir une réponse du cousin d’Elio, toujours vivant, sans nouvelle de lui depuis son départ. La fille d’un de ses autres cousins, devant la maison où il est né en 1927, dans la montagne, et où enfant il cachait déjà les armes des maquisards italiens sous le plancher, raconte avoir toujours entendu parler de cet oncle parti si jeune et dont on n’avait plus jamais rien su. « Retrouver sa trace, dit-elle, a été comme retrouver un trésor. » Il fallait ramener sa dépouille à Lovere.
Sur une photo d’enfance, on voit Elio, âgé d’une dizaine d’années, un béret de partisan posé sur la tête de guingois, les mains sur les hanches, avec un air farouche et déterminé. Sur une autre, plus âgé, il a une jeune femme à son bras. Puis il est avec un de ses compagnons rencontré à Toulouse d’où partaient les groupes d’action pour Barcelone. Ce dernier, arrêté par la suite et condamné à vingt ans et six jours de prison, encore le sarcasme, se souvient à l’image du jeune homme enthousiaste et curieux avec qui il échangeait des blagues, et raconte comment se déroulaient les opérations du maquis, les marches de nuit avec des sacs de quarante kilos plus la couverture, les armes et les explosifs pour les actions de sabotage, le sommeil inquiet de jour. Il ne participait pas à l’action dans laquelle son ami a perdu la vie.
Le film qui condense en quinze minutes le parcours météorique d’Elio Ziglioli – vingt-deux ans, c’est si jeune pour mourir -, et avec lui celui des résistants qui au vingtième siècle ont fait front contre les dictatures en Europe, pensant qu’ils pouvaient écrire une autre histoire, s’arrête à son dernier tombeau. Sur le plan final, ceux qui ont accompagné la boîte recouverte du drapeau de la CNT qui contient ses restes chantent en italien, avec les montagnes en arrière plan, le poing levé : Oh partisan, emmène-moi loin d’ici car je me sens mourir.
Et ce chant, Bella ciao, qu’on a entendu si souvent, prend ici tout son sens et se poursuit sur le générique de fin :
Si je meurs en partisan, tu devras m’enterrer, tu m’enterreras là-haut, sur la montagne, à l’ombre d’une belle fleur (…) la fleur du partisan mort pour la liberté.
Adèle O’Longh