Rares sont les artistes portés à la postérité par le biais d’une activité annexe. Adolfo Kaminsky fait partie de ces exceptions. Faussaire à 17 ans pendant la seconde guerre mondiale, il passera finalement toute sa vie à sauver et à aider des personnes persécutées en leur procurant des papiers. Son œuvre photographique qu’il constitue parallèlement mais qu’il ne peut montrer, est à la fois modeste et empathique. L’exposition au musée d’art et d’histoire du judaïsme (MAHJ) présente les deux grands axes de cette vie d’Adolfo Kaminsky aujourd’hui âgé de 94 ans.
Les photos en noir et blanc des années 1950-60 principalement, réalisées à Paris mais aussi lors de voyages, emportent le visiteur dans un monde intérieur riche d’authenticité et de simplicité. Autant le travail sur les papiers et donc sur l’apparence des personnes est une mission qui se fait en surface, autant son travail photographique est une plongée dans les profondeurs de l’humanité.
Faire paraître une personne comme une autre, orienter le regard sous l’influence d’une carte d’identité, d’un bon de rationnement ou d’un laissez-passer est un exercice sur l’épiderme… du papier. Il s’agit de déguiser, d’effacer de l’encre, de remplacer des écritures, de vieillir des matériaux, de changer des photos. Bien sûr, l’on pense aux tatouages des déportés. Toutes ces marques, ces numéros ont été un enjeu crucial pendant la seconde guerre mondiale.
Les photographies de Kaminsky sont à l’opposé de son travail de dissimulation. Pourtant il aurait été facile d’utiliser la photographie dans sa dimension artificielle. Car la photo est un médium qui se prête volontiers lui aussi, au travail de surface, en particulier quand le souci du paraître et de l’image sont centraux. C’est le cas des photos de mode par exemple. Les photographies que nous découvrons dans cette exposition témoignent de la douceur et de la subtilité d’un regard. La présence quasiment constante des ouvrages de l’humanité sur ces tirages de belle qualité, renforce l’impression d’un œil projeté au cœur de la vie humaine et ouvrière. Ces ouvrages, ces œuvres au sens laborieux du terme ce sont des charpentes, une cale de cargo, des palissades, des bâtiments, des objets métallurgiques et d’autres accumulés notamment au marché aux puces. Les métiers apparaissent à travers des personnages qui sont vus sans jugement, sans comparaison ni complaisance, posés là dans leur simple réalité, témoignant de vies qui se devinent.
Les photographies sont celles d’un promeneur souvent nocturne et discret, qui passe des quartiers bourgeois aux banlieues pauvres, du canal à Pigalle, des bords de Seine aux rues désertes. Il y capte des attitudes et des atmosphères. Ainsi « Photographies de mode, rue de Seine, Paris 1953 » nous présente l’ambiance d’une séance de prise de vues radicalement opposée aux images sophistiquées qui en ressortiront. Les murs de pierre dégradés ne sont pas esthétiques, les personnages sont ténus, renvoyés à leur vulnérabilité.
Le « Mineur de fond, charbonnages de France, Lens 1950 » est un moment de grâce. Un mineur à la peau recouverte de charbon dans son caveau minier pousse un wagon, un sourire à peine esquissé, le regard lumineux, tranquille et vaillant tandis que la lampe de son casque forme deux éclairs dans la nuit. L’homme en maillot de corps semble s’extraire de l’ombre pour venir vers la lumière qui baigne le spectateur. Cette photo pourrait être une peinture. C’est aussi le cas de nombreuses autres images telles qu’une rue de Paris déserte, une femme qui attend, une charpente en ruine… qui sont à la limite d’autre chose, de l’abstraction pour certaines mais surtout d’un univers subtilement coloré.
Alegría Tennessie
Photo Autoportrait, 1947 © Adolfo Kaminsky
Adolpho Kaminsky Faussaire et photographe, exposition au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, du 23 mai 2019 au 19 avril 2020