C’est l’histoire d’une métamorphose. Ovide en son temps nous montrait déjà le potentiel tragique lié au décalage entre le sacrifice d’un corps et la permanence d’une âme. Valérie Lesort et Christian Hecq font de même en adaptant une nouvelle de George Langelaan.
Robert et sa mère forme un couple monstrueux; ils vivent isolés dans une roulotte et un garage, entourés de nains de jardin, de tapettes à mouche, d’un petit bestiaire rural. Le décor et les costumes sont surannés, le fixe-chaussette est ainsi remis au gout du jour, les matières bon marché ; les mimiques des comédiens, leurs tics, déhanchements, et borborygmes rendent burlesques ces personnages dont l’ignorance et l’étroitesse d’esprit virent souvent à l’absurde.
Robert a son jardin secret, il perfectionne sa machine à téléporter dans une chambre garage, au fil d’expériences proprement hilarantes. Mais un jour, une mouche s’introduit dans son antre et tout bascule. Le petit homme, obsédé par son projet de téléportation, va être transformé en cancrelat bubonique. La pièce vire alors à la tragédie. Personne ne lui répond quand il pousse son cri déchirant « Maman, je ne veux pas être une mouche », tel le Gregor de Kafka; personne ne saisit que, malgré son apparence dégoutante, Robert, Eléphant Man magnifique, pense encore comme un humain, quémande un peu d’amour.
Christian Hecq, comédien performer exceptionnel, restitue l’humanité du gnome, abdomen proéminent, épaules affaissées, menton pointé vers l’avant, dégaine de clown à la démarche aléatoire. Le plateau se transforme en espace d’expérimentation jusqu’à un mur d’escalade ou s’accroche Robert la mouche. Christine Murillo, la perruque de guingois dans le rôle de la mère, dégaine sec « c’est la veuve à Maurice, celle qu’a plein de varices…ah… ah », avec un coffre jubilatoire.
Si vous appréciez l’absurde, le gore décadent, l’humour noir, ne ratez pas cette soirée Grand-Guignol et s’il vous a échappé, regardez le film de David Cronenberg sur le même sujet.
Sylvie boursier
Photo© Fabrice Robin
La Mouche, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq du 8 janvier au 1er février 2020, aux Bouffes du Nord, tournée jusqu’au 21 mai en 2020 à Lyon, Marseille et en banlieue parisienne.