« L’histoire du Noir en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique et ce n’est pas une belle histoire. »
À 15 ans, le 4 septembre 1957, Dorothy Counts est la première élève noire à faire son entrée au lycée ségrégationniste Harry Harding à Charlotte, en Caroline du Nord. Le White Citizens Council exhorte alors les élèves à lui cracher dessus et à l’empêcher d’entrer car « Dieu pardonne le meurtre, il pardonne l’adultère, mais il est furieux contre les acteurs de cette intégration ». Dorothy Counts marche sous les cris, les quolibets, les crachats et même les jets de pierres.
Les jours suivants, le harcèlement s’étend aux jeunes filles qui lui parlent jusqu’à ce que celles-ci cèdent à la menace et cessent de la regarder.
Assiette souillée à la cantine sans que les adultes n’interviennent, jets de nourriture au visage, menaces téléphoniques, insultes écrites sur les murs, voiture de son frère cassée ; après quatre jours d’agressions allant s’intensifiant, ses parents craignent pour sa vie. Dorothy Counts quitte le lycée. Sa famille l’envoie en Pennsylvanie afin qu’elle puisse poursuivre sa scolarité.
Fuyant le racisme, James Baldwin est installé en France depuis 1948, à l’instar de Richard Wright, quand il voit en 1957 le cliché de Douglas Martin qui a fait le tour du monde – et gagné le World Press Photo cette même année – où Dorothy Counts marche droite dans une jolie robe empesée, déterminée, ses lunettes se balançant au bout d’un cordon, seule au milieu de Blancs haineux.
« La fierté, la tension et l’angoisse se lisaient sur le visage de cette fille alors qu’elle approchait du temple du savoir, les sarcasmes de l’Histoire dans son dos. Cela m’a rendu furieux, cela m’a rempli à la fois de haine et de pitié. J’ai eu honte. L’un d’entre nous aurait dû être là avec elle. »
Cette photo sera le déclencheur qui le poussera, lui le marginal, l’outsider gay qui regarde depuis la distance la société américaine pour mieux en parler, à retourner aux États-Unis où il deviendra un acteur majeur de la lutte pour les droits civils, proche de Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King.
Le texte qui est retranscrit à l’écran par le réalisateur haïtien Raoul Peck est la réponse de Baldwin à son agent littéraire qui lui demandait de dresser, dans un nouveau livre, un portrait des États-Unis à travers l’histoire de ces trois hommes assassinés entre 1963 et 1968. L’auteur ne pouvait pas écrire ce livre. Il l’explique dans cette lettre qui démonte magistralement l’invention du racisme.
Raoul Peck, dans une interpénétration singulière qui fait toute la force du film, donne à voir le combat des Africains-Américains, dont l’asservissement est à la base de l’American Dream, avec les mots de James Baldwin entrecoupés d’images d’archives. « Je ne suis pas votre nègre ; je ne suis pas un nègre, je suis un homme ; le nègre a été inventé par l’Amérique et l’Amérique doit se demander pourquoi elle a eu besoin d’inventer le nègre. »
Adèle O´Longh