« Je me distrais, je vois de nouvelles têtes, je joue un rôle, comme tout le monde. Mais de temps en temps, sans le savoir, sans le vouloir, on dit une chose, une chose parmi tant d’autres, et cette chose, spontanée ou pas, cette petite chose dévoile un état d’esprit, l’inquiétude d’une personne, si on est attentif. Si malgré les occupations et les préoccupations, on sait rester libre et attentif. Moi, je ne sais pas vraiment être libre et attentive, mais j’essaierai de faire mieux. » *
Ainsi parlait la jeune femme que Rosa Raich interprétait dans le premier moyen-métrage de Manel Muntaner; Full Blanc (Page blanche), en 1977.
Lorsqu’on rencontrait Rosa, ce que l’on percevait tout d’abord c’était sa grâce, sa façon délicate d’être attentive aux autres. Si loin et si proche à la fois. C’était une femme qui semblait nous voir depuis un autre endroit, plus ouaté, un lieu où il n’y avait pas de place pour la méchanceté des hommes, un ailleurs paisible. Elle était enveloppée d’un halo d’où elle nous regardait, de ses grands yeux de brume, vert d’eau, si doux. Des yeux qui ne jugeaient pas, mais qui se posaient comme un baume.
Rosa était une femme douce, une douce dingue, une enfant qui riait au milieu des ombres.
Elle avait un regard accueillant, tendre, un regard où se réfugier. Et ce sourire. Le sourire si clair de Rosa, toujours affleurant, toujours prêt à naître, encore et encore. Rosa, toujours renouvelée dans sa fraîcheur et sa gaieté de satin, sa gentillesse, elle qui portait si bien son nom. Rose, actrice et peintre, Rosa Raich i Puig, fragile et lumineuse, si câline Rosa, éprise de liberté.
Rosa Raich, la compagne bien-aimée du réalisateur Manel Muntaner, avait fait ses premiers pas d’actrice dans le rôle principal de Full blanc où elle incarnait une inoubliable jeune femme à la recherche de son être, entre ambiguïté et incertitude, dans une société qui explose.
« Le cinématographe est l’art d’exprimer le maximum de mouvement à travers une grande dose de quiétude. » Ces mots du réalisateur pourraient s’appliquer à la vie intérieure de celle dont il avait si bien su capter l’essence dans son film, lui qui dit que « Toute image doit être un mirage elliptique de la réalité ».
Rosa s’en est allée le 13 août 2020. Ce texte fait partie de l’hommage virtuel que nous lui rendons, nous qui l’aimons, puisque nous n’avons pas plus le droit de le faire en personne, en ces temps de restrictions, que Manel – qui passait tous ses jours avec elle, avant le confinement, dans l’établissement où elle était hospitalisée -, n’a eu le droit de lui tenir la main quand elle est morte. Lui qui sentait, par toutes les cellules de son corps, que sa bien-aimée s’en allait. Il a été bloqué à la porte de sa chambre dans le cadre des nouvelles mesures liées au Covid19. Elle n’avait pas le Covid, pourtant, et lui non plus. Il avait fait le test trois jours auparavant. Mais on ne l’a pas laissé entrer. Rosa, qui allait beaucoup mieux avant le premier isolement, a périclité durant les mois de séparation, puis elle est morte quand elle a été à nouveau confinée.
« On pleure leur absence, en ces temps où on vit loin d’eux. On pleure aussi une petite mort qui nous est propre, une lucidité qu’on ne veut pas reconnaître, qui nous dit que nous mourrons, nous aussi. » *
Rosa s’en est allée. Nous restent les éclats qu’elle a semé derrière elle, de sourire, de voix veloutée, d’élégance, de main chaude posée sur un bras… Nous restent ses tableaux. Et le souvenir apaisant de ses yeux.
Adèle O’Longh