« Qu’est-ce qu’un chef ? », voilà une question autour de laquelle il ne devrait pas s’agir de chipoter car au moment de la vérité il faudra bien le reconnaître, le chef, le patron, celui de qui viendront le salut et la salvation. On se demande du reste pourquoi que le général de Villiers s’est fendu d’écrire pareil ouvrage vu que tout le monde avait bien entravé qu’il en était l’incarnation éponyme et sa simple apparition répondait à la question titre. Par conséquent, post conférence, on se maintenait dans une colonne quasi au garde-à-vous, espérant une signature, un mot peut-être, n’importe quoi qui, de si haut tombant, allait nécessairement agir comme une onction. Le cas de figure d’une dame dont le fils, CRS, allait rencontrer son père, gilet jaune, sur le champ d’une manifestation, métaphore et synthèse d’une France meurtrie et désunie, s’est alors révélé au général comme le diagnostic d’une déchirante évidence. La France s’était archipélisée pendant que, du haut de son état-major, il observait la planète, et il n’aime pas ça les divisions, le général, il ne nie pas leur existence, mais il est probable qu’il ne les aime que blindées.
« Halte au feu ! » hurle-t-il donc en ce premier chapitre, non sans avoir, au passage, admiré la discipline qualifiée de peu habituelle par un organisateur sans doute un peu plus fayot que les autres et qui conduisit les innombrables admirateurs à attendre leur tour en ordre et en silence. Ce spectacle redonne de l’espoir au général.
Dès lors, le général ressent l’impérieuse nécessité d’une réconciliation nationale, cette idée ne l’a plus quitté et l’a conduit à rédiger ce troisième livre , L’équilibre est un courage, titre qu’il a emprunté à Camus, qui n’est plus là pour lui demander de le lui rendre.
Afin d’organiser sa pensée, le général a divisé la nation en trois France. Il m’est difficile d’en faire une synthèse, sachons simplement que ces trois-là font rien qu’à se jalouser et se critiquer. Et c’est intolérable !
Or donc, comprenant toutefois que le modèle militaire est difficilement transposable à une nation, mais se situant au-dessus de la mêlée et après tout, merde, son expérience en vaut bien une autre, le général veut proposer des solutions. Évidemment, rien ne se fera sans la jeunesse. À la condition que les parents se situent dans leur rôle d’éducateur, ce qui n’est pas gagné d’avance car on ne fabrique pas un adulte comme un camembert. Petite digression, on raconte qu’à Avignon une actrice déclamait Shakespeare au point de se faire huer par le public. Exaspérée, elle s’approche dudit public et lui fait remarquer que, désolée, c’est pas elle qu’a écrit le texte. Pareil pour moi, le camembert, c’est le général, pas mézigue.
C’est curieux, toutefois, pour un militaire, cette obsession de vouloir réconcilier tous azimuts. Et que je te réconcilie les dirigeants et le peuple, et la nation et les médias, et les cités et la République, et la tradition et la modernité, je dois en oublier, étourdi de l’image de tant d’embrassades dans les rues, au parlement, à la maison (j’ai oublié de causer de l’intergénérationnel).
Mais enfin, le général aime la France, il en fait d’ailleurs un chapitre astucieusement intitulé « Aimer la France. », page 111. Rappelant à ceux qui ne le sauraient pas que notre armée sait s’adapter à la population locale partout où elle est déployée (sic), le général insiste sur le besoin d’unité, se réjouissant de ce que plus de 50 piges soient passées depuis cette saloperie de mai 68 et déclarant qu’il est temps d’apprendre à aimer la France à nos écoliers, à nos enfants et à nos étudiants, visiblement il a renoncé aux autres. Je ne souhaite pas parler de mon cas personnel mais voici comment je vois les choses. J’ai un chien. Je l’aime à mon avis dans la plus belle acception de l’amour. J’aime ce qu’il est. J’aime le regarder s’éloigner de moi justement quand je l’appelle. Il m’arrive de penser qu’il faudrait que je fusse plus ferme, que j’imposasse davantage d’autorité, ne doutant pas de la bonté de l’intention, certain que seul son bien m’importe, mais au moment d’exercer pareil pouvoir, me vient à l’esprit qu’en réalité plus je lui imposerais de s’approcher, plus encore il s’éloignerait.
Christian Vigne
L’équilibre est un courage, Général d’armée Pierre de Villiers. Éditions Fayard.