Bien que le titre s’en prenne aux poules et semble leur attribuer la responsabilité de situations qui restent à découvrir, ce roman est une ode à la vie rurale, à la famille et peut-être à la paysannerie (je prends des risques). À travers le regard d’un enfant, on intègre une famille chaleureuse avec un père faussement autoritaire et une mère qui s’échine à ce que ça tourne comme il faut, on est avec les poules (que l’enfant adore, dont il parle la langue, qui lui donnent des conseils sur tout, qui l’engueulent parfois), les canards, les vaches, on participe aux travaux des champs, on vit la découverte de l’école et d’une amitié forte avec une fille qui, elle aussi, est un peu décalée.
Tout le roman ou presque est en forme de monologue intérieur, nous voilà dans la tête de cet enfant, une tête un peu trop remplie où cohabitent plusieurs personnalités, plusieurs niveaux de réalité, et très vite se pointe l’annonce d’un drame :
« Tout ça c’est à cause des poules. À cause de ces bon dieu de poules que tout ce malheur est arrivé. C’est ce que je me suis tué à dire aux messieurs en robe noire avec de drôles de cravates blanches en accordéon qui voulaient tout savoir et rien payer. Évidemment, ils m’ont pas cru. Ils ont dit n’oubliez pas que vous parlez sous serment, vous êtes accusé d’un acte d’une gravité exceptionnelle, c’est tout juste s’il a pas été question de l’apocalypse et du jugement dernier. Personne m’a cru. Personne me croit jamais. »
C’est très vivant, drôle, passionnant pour ce que ça raconte de la vie à la campagne, avec une tension qui émerge peu à peu, c’est tragique parfois, très beau souvent, avec des personnages extraordinaires, parfois chtarbés, inquiétants, mais aussi d’autres très généreux, toujours très humains.
Cet enfant qui se parle, qui nous parle, a un nom : il s’appelle Jean-Jacques Reboux, ses frères et sœurs ont les mêmes prénoms que dans la vraie vie de l’auteur, et on se laisse aller à supposer, car on est perspicace, qu’il y a de l’autobiographie là-dedans, même si on connaît l’artiste et on sait qu’il est capable de nous mener où il veut et de nous faire prendre des vessies pour du gras double.
Ce roman est une réussite car il nous fait entrer dans l’intimité d’un milieu méconnu, il nous fait partager les délires d’un personnage surdoué, il nous raconte les difficultés et les joies d’une vie quand on ne sait pas trop démêler le vrai de l’imaginé, quand on est différent des autres et qu’on ne comprend pas bien comment il faut faire pour que ça se passe bien. C’est une réussite aussi pour le rebondissement de la deuxième partie lorsque l’auteur rencontre Fanfan, une fille plus grande, plus sage, tout le contraire de lui et pourtant qui se révèle bien barrée aussi. Cette deuxième partie est très belle car on part sur le récit d’une autre folie, d’un amour fort et partagé, c’est poignant et épique, et ça se termine de façon inattendue, entre comique et tragique. C’est une réussite aussi car c’est une écriture surprenante, très inventive, à la fois réaliste et poétique, jamais ennuyeuse.
Un roman qui permet de mieux connaître l’auteur, Jean-Jacques Reboux, un auteur qui aimait les poules et détestait les poulets comme il le disait lui-même sur son blog, un auteur qui nous manque depuis qu’il est parti. A-t-il retrouvé ses poules ?
François Muratet
C’est à cause des poules, Jean-Jacques Reboux, Flammarion, 2000