Dominique Roques est sourceur. A la demande des maîtres parfumeurs, il parcourt le monde à la recherche d’essences rares. Ce livre, dit-il, « est né au cours d’un voyage récent, devant un arbre à encens dans les montagnes du Somaliland. […] Avec l’odeur enivrante de l’encens naissant, le vent m’a apporté la sensation d’être, à cet instant, le témoin de la continuité d’une histoire extraordinaire, celle de la récolte des parfums de la nature, jamais interrompue depuis plus de trois mille ans ».
Le sourceur ferme les yeux, submergé par les odeurs délicieuses qui se dégagent de quelques feuilles froissées dans ses mains. « Les parfums que nous donnent les plantes naissent très loin des parfumeries, dans le monde du temps long de la nature. Ils sortent de terre, sont récoltés, transformés, transportés, histoires convergentes et mystérieusement assemblées pour devenir finalement élixir dans un flacon. L’ouverture d’un parfum, c’est le temps court de la surprise et du plaisir, les brefs instants accordés à ces extraits pour se raconter ».
L’histoire des essences de parfum traverse la grande histoire, celle des guerres, de la décadence des états ou des rivalités entre pays producteurs. Ici, l’avidité des pays occidentaux désorganise les filières traditionnelles. Là, les soubresauts climatiques ruinent les récoltes. « Le voyage du parfum n’a heureusement pas de fin » et même délabrés, les ateliers reprennent vie, soutenus par les anciens qui n’ont rien perdu du savoir-faire et par les liens d’amitié, souvent tissés de longue date, avec le sourceur qui fait confiance.
La moisson bleue de la lavande en Haute Provence, la fragile beauté des fleurs du ciste que les Andalous appellent « larmes-du-Christ », l’essence brune du patchouli, « ombre noire choisie par les Chinois en mélangeant la poudre de ses feuilles à leur encre, comme si les calligraphes voulaient que le parfum accompagne leur pensée sur le papier », chaque essence raconte un territoire. « Avec la myrrhe et l’encens, le parfum quitte le seul registre de l’odeur pour entrer dans la dimension de l’histoire la plus antique, figures de légendes, traces fabuleuses, caravanes et civilisations disparues ».
Touché par la force et la vulnérabilité des arbres à parfum, l’auteur consacre ses trois derniers récits à « trois senteurs exceptionnelles que l’homme a voulu lier au religieux, au sacré, à l’essence de son existence », le bois de santal, le bois d’aloès et la résine d’encens. Parfois gagné par l’inquiétude, il se confie : « A chacune de ces rencontres, après le temps de la découverte, de l’observation et des échanges, revient pour moi ce questionnement lancinant : combien de temps tout cela peut-il encore durer » ?
Dans ce livre, Dominique Roques rend hommage aux cueilleurs du monde. Il se souvient : « Tout petit, j’aimais ramasser quelques fleurs à l’usine de mon père, il les sentait avec moi à la maison et les mettait le soir sous mon oreiller ». Ainsi commence le chemin… « avec des fleurs sous un oreiller d’enfant » !
Elisabeth Dong
Cueilleur d’essences de Dominique Roques, Grasset, 2021