J’avais tellement aimé Cimetières d’étoiles que j’ai décidé d’aller jeter un œil sur le précédent roman de Richard Morgiève, entre-temps sorti chez Folio Policier, d’autant que l’accueil avait été plutôt bon, avais-je remarqué.
Et c’est encore la claque, autant du point de vue de l’écriture (mais comment fait-il ?) que de l’histoire, des histoires devrais-je dire tellement c’est multiple et enchevêtré. Et puis on retrouve cette ambiance déjantée qui m’avait sidéré (et ravi) dans Cimetières d’étoiles.
Le cadre est toujours aux États-Unis, dans les années 1950. On suit Corey, un shérif d’une petite ville du sud des États-Unis, un gars qui a un lourd passé et qui vit en célibataire, perdu dans ses souvenirs horribles, ceux de la guerre et ceux de son enfance, un mauvais gars à en croire le narrateur, à en croire le personnage lui-même, tellement il a tué et peut tuer encore. Mais un mauvais gars qui est du bon côté de la loi, à qui on ne la fait pas, qui observe et qui réfléchit.
« Corey s’est baissé et a tracé une ligne dans la neige avec l’index. Ils l’ont rejoint. Ils étaient neuf et se sont arrêtés à quelques mètres de lui comme s’il était en quarantaine. – C’est vous ? a aboyé l’un d’eux. Gradé, borné, aux ordres. – On dirait. Corey avait la voix enrouée, traînante, l’accent des ploucs qui forniquaient en famille. Les gens se faisaient une idée sur lui qui n’était pas la bonne. Ils prenaient la piste du mauvais pied. C’était la vaste question des traces qu’on laissait volontairement ou pas, des clés au contact, une vague odeur de parfum. Dans le lointain, il a entendu des rumeurs, d’autres hélicoptères. On n’allait pas tarder à se marcher sur les pieds par ici. »
Mais Corey est-il de taille à lutter à la fois contre les fédéraux, contre les ennemis de l’État, et surtout contre le Dindon, un tueur en série immonde et effrayant qui sème des indices pour mieux l’attirer dans le piège final ?
« Il a senti un parfum très puissant… Le gosse le dévisageait atterré et Corey a manqué de rapidité. Pas eu le loisir de raconter une histoire édifiante. Le nœud s’est serré autour de sa gorge et il a été violemment tiré vers le haut tandis qu’il entendait le glougloutement du Dindon. Bruyamment pendu parce que le Dindon était forcément à l’autre bout de la corde, sur la poutrelle, et qu’il s’était jeté dans le vide, pesait lourd, et que Corey était monté plus vite qu’un ascenseur. »
L’entrecroisement des petites histoires du quotidien avec cette enquête, et puis avec l’autre enquête qui concerne les États-Unis d’Amérique au plus haut niveau du pouvoir, rien de moins qu’un complot militaire qui commence par l’atterrissage improbable d’un avion sans pilote sous les yeux du shérif, auquel s’ajoutent la révélation sur son enfance et la découverte de ses goûts sexuels sont un prodige de maîtrise de la narration. Et tout cela avec une poésie dans l’écriture et un sens de la description des personnages mêmes les plus secondaires qui est formidable.
Le Cherokee est un roman à lire, peut-être même avant Cimetières d’étoiles dans la mesure où l’histoire s’y prolonge en partie, à lire quand on aime être pris par le collet et secoué jusqu’à la dernière page.
François muratet
Le Cherokee, Richard Morgiève, Folio policier, 2021, (Editions Joëlle Losfeld, 2019
Photo © Gina-Cubeles 2021