Arletty
au Lavoir Moderne Parisien

Elle nous reçoit dans son salon et égrène les souvenirs épars de sa carrière et de ses amours. Laissez brûler les p’tits papiers, chantait Régine, qu’un jour ils puissent vous réchauffer… En l’occurrence, c’est l’époque de la dernière guerre mondiale qui est au centre du récit, plus précisément de l’occupation, avec la figure centrale de Soehring, officier nazi, le grand amour allemand de la comédienne…


La mise en scène du monologue Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets, entièrement basé sur ses mémoires, reste classique avec une malle à trésors d’où l’actrice extrait un bas, une photo, une affiche, divers objets fétiches. Un grand miroir, comme dans une loge de théâtre, permet de réfléchir l’image de la protagoniste en réalité augmentée.


On n’apprend pas grand-chose sur ce qu’elle pense du contexte historique traversé alors même qu’elle dit avoir refusé toutes les propositions de tournage des nazis. On aurait envie de l’entendre sur cette période sinistre où les juifs sont raflés avant d’être conduits à la mort, où les collaborationnistes s’enrichissent et plastronnent avant de retourner leur veste à la libération – ce qu’elle-même s’est refusée à faire. L’Arletty de Koffi Kwahulé, l’auteur du texte, n’est qu’une boule de vitalité, de sensualité, qui vit pour l’amour et la jouissance sous toutes ses formes. Le personnage ne baisse jamais la garde et fait face avec une gouaille jetée à la face du monde, en revendiquant une liberté sexuelle avec des partenaires multiples et des amours lesbiens.


La pièce, fidèle à son parti pris de coller à la version d’Arletty sans la questionner, présente les interrogatoires qu’elle subit après la défaite de l’Allemagne comme le fait d’un juge libidineux qui se repaît du spectacle d’une femme extraordinairement charnelle à l’heure où les chiens aux poils retournés ont le permis de chasse et où les femmes sont tondues. L’actrice ne renie rien de sa vie, n’a aucun regret…

L’intérêt de cette création tient surtout à la performance de la comédienne Julia Leblanc-Lacoste, formée au théâtre physique et à la méthode Grotowsky. Il faut entendre les multiples nuances de sa voix suave quand elle prononce le nom de son amant, presque enfantine parfois, jamais blasée, jamais aigrie. L’actrice s’engage totalement, muscles, talons, cou, peau de velours ; elle investit l’espace avec beaucoup de justesse. Ses ruptures mélodiques sont ciselées, de la bravade insolente à la grâce d’un léger pas de danse autour du coffre, les doigts caressant le tissu, le regard perdu dans les méandres de l’âme.

Grotowsky prônait un théâtre pauvre où seuls l’acteur et le spectateur étaient essentiels. Cette pureté résonne au Lavoir Moderne Parisien comme une respiration musicale sous les poutres de ce théâtre à la programmation atypique qui se bat pour attirer le public dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris. Dans un écrin à bijoux, Julia Leblanc-Lacoste est Arletty, le rôle semble écrit pour elle.

Sylvie Boursier

Photo Cassandra le Riguer.

ARLETTY… comme un œuf dansant au milieu des galets de Koffi Kwahulé, mise en scène Kristian Frédric du 06/10 au 14/11 au Lavoir Moderne Parisien, Trappes (78) le 16/11, Bordeaux du 18/11 au 21/11, Marseille du 23/11 au 26/11, Anglet du 30/11 au 04/12
Festival Avignon OFF, Le Petit Chien Théâtre, juillet 2022.