Unité 8200 © Gina Cubeles 2022

Unité 8200
de Dov Alfon

Grandes oreilles israéliennes

Tandis qu’à Paris un jeune directeur marketing israélien se fait enlever par une (fausse) blonde à l’aéroport Charles-de-Gaulle, en Israël, une jeune lieutenante prend la tête de la section de protection, sorte de police interne, de l’unité 8200. Celle-ci est une puissante structure de renseignement high-tech qui travaille en collaboration avec la NSA américaine, et son objectif est d’intercepter tous les messages électroniques qu’ils soient audio, vidéo ou textuels grâce à d’énormes antennes, placées en Israël et dans le monde, de les décrypter, de les traduire et de les stocker.



« Même au pic de l’été, les soldats restaient engoncés dans leur manteau et passaient leur tour de garde à se frictionner le haut des bras. Au cours des années, de nombreuses plaintes avaient été déposées à qui de droit, mais l’air conditionné restait bloqué au maximum : dans le renseignement militaire israélien, le bien-être des ordinateurs passait avant celui des gens. »



On peut faire beaucoup de choses avec toutes ces informations, d’ailleurs les Israéliens nous ont montré récemment avec Pegasus à quel point ils étaient dégourdis (et sans scrupules) en matière de technologie d’espionnage de personnalités politiques, de journalistes et d’opposants. Certaines de ces données excitent la curiosité de simples soldats de l’unité qui ont un sens aigu de l’autoentreprenariat et sans doute la volonté d’être rentier à vingt-cinq ans, mais qui anticipent de manière assez désinvolte les problèmes qui vont leur tomber dessus.


Avec ce premier roman traduit de l’anglais, Dov Alfon, journaliste franco-israélien passé de Haaretz à Libération dont il est devenu en 2020 le directeur de la rédaction, nous entraîne dans les couloirs des services de renseignement israéliens, nous fait partager les luttes de clan qui s’y exercent car la masse prodigieuse des renseignements collectés intéresse bien d’autres personnes que celles qui sont soucieuses de la défense de l’Etat ou que les soldats qui se croient trop malins. En même temps, on est baladés dans Paris avec un autre officier israélien à la recherche de ce jeune cadre qui s’est fait enlever, puis d’un autre israélien disparu, alors que des tueurs chinois un peu excessifs interviennent sans égard pour la vie humaine dans le but de récupérer des renseignements d’une valeur estimée très précisément à vingt millions de dollars, payables en bitcoins.



« Les Chinois s’avancèrent à pas vifs et silencieux. Tous les deux en costume et chemise sombres, ils ressemblaient aux milliers d’hommes d’affaires qui atterrissent chaque jour à Paris en provenance d’Asie. Mais ils avançaient comme un commando, et le micro ultrasensible installé par Barak ne capta pas le moindre son de leur pas sur le gravier. Meidan n’avait pas une chance. »



Dov Alfon sait de quoi il parle car il était dans cette unité 8200 lors de son service militaire et il en est ressorti officier en 1982. Les personnages prennent de la consistance au fur et à mesure qu’on avance, la lieutenante pète-sec et surdouée est particulièrement réussie, avec cependant un commissaire français sans doute trop bête, procédé pour mettre en valeur l’enquêteur israélien, et le suspense devient de plus en plus fort alors que l’enquête révèle des coups fourrés inattendus. Le milieu du renseignement israélien, dont la description est un peu difficile à suivre au début, se révèle être une sacrée machine à embrouilles que le Premier Ministre israélien essaie de domestiquer pour son propre compte, c’est-à-dire pour assurer sa réélection et satisfaire ses soutiens.


Le livre est ainsi un page-turner très efficace et on comprend bien son succès en France et dans d’autres pays, notamment en Israël et dans les pays anglo-saxons, car ce qui s’y dévoile est énorme et réjouissant, avec ici et là des petites touches qui montrent une sensibilité envers la tragédie palestinienne et notamment un écho du mouvement de 2014, lorsque quarante-trois soldats de cette unité 8200 ont signé une tribune pour dire leur refus de participer à des actions contre les Palestiniens.

François Muratet

Unité 8200 de Dov Alfon, Folio policier 2020, Ed. Liana Levi 2019

Photo © Gina Cubeles 2022