Il est des livres, plus hospitaliers que d’autres, qui vous accueillent avec une enveloppante générosité. Ce récit de voyage est de ceux-là, sans apprêt, empli de bienveillance, on s’y sent vite chez soi.
Les Montagnes dans les nuages ouvre la trilogie d’un voyage initiatique vers un bouddhisme qui ne se laisse pas apprivoiser facilement. Une quête de soi où avoir l’assurance tranquille de ceux qui avancent sans cartes et sans compas se construit peu à peu. Suivront La voyageuse immobile et La vieille dame au coeur du volcan.
Dans ce premier acte, Adèle O’Longh, sur un coup de tête, se lance dans un périple en Chine en compagnie de son maître de qi-gong M. Lin, vieil homme débonnaire et malicieux, « un tiers de professeur, un tiers de père adoptif, un tiers d’ami » .
Pleine de fraîcheur et de spontanéité, elle va nous entraîner avec maestria à la découverte de petits bouts de Chine : le Pékin populaire d’abord, secret, où s’écrit l’histoire des habitants au jour le jour, la ville avec ses petites ruelles, ses hôtels miteux… Le regard panoramique de l’auteure balaie les scènes de rue comme autant de photos prises en rafale. On décèle son amour des plaisirs simples et sans malice, sa tendresse pour les petits riens du quotidien, sa capacité à nous les rendre essentiels. Ici réside la magie de ce voyage où on apprend à guérir les malades grâce à un pouvoir énergétique acquis au fil du temps.
Chaque journée est pleine d’inattendu et de mystère. Autant d’expériences qui se méritent et exigent une disponibilité totale pour qui veut devenir un initié. Il faudra abandonner ses certitudes, son rationalisme, pour accueillir « ce pays de légendes, dragons, arts martiaux et dix mille merveilles » et poursuivre le chemin. Adèle O’Longh attrape chaque moment vécu avec un regard gourmand sans perdre un point de vue critique dénué de tabou pour nous dresser le tableau de certaines villes pauvres et désolées. Les paysages défilent devant nos yeux, étranges et familiers, avec la sensation intense dont parle l’auteure d’être rentré chez soi.
Une infinie poésie baigne le récit : description des paysages de montagnes de Guilin, montagnes isolées du bruit du monde, « protégées du fracas de l’Histoire ». L’énumération des villes pendant ce périple : Yangshuo, Shuanglong, sonne comme une invitation au voyage et prépare la rencontre décisive avec les Montagnes dans les nuages. Le récit raconte l’essence même du bouddhisme : ne pas s’attacher aux lieux, aux objets ; se rappeler que les êtres sont de passage toujours parce que l’impermanence est le fondement de toute vie. Quel plus bel exemple que l’amour de l’écrivaine pour le mouvement glissant des nuages mais aussi cette capacité qu’elle nous décrit de se trouver à l’endroit exact où l’on doit être? Tout passe alors à quoi bon s’enraciner ? La dynamique de la vie est dans l’acceptation du changement, du toujours ailleurs. Les dieux du Tao enseignent cette sagesse.
Adèle O’Longh nous offre de belles pages, dans une langue simple, sans préciosité ni fioritures, pour apprivoiser les finesses d’un vécu intérieur singulier qui renvoie à l’alternance de l’unicité de l’être et de la séparation. Si on s’y reconnaît on s’en trouve apaisé, voire ému. Nous passons sans heurts des figures taoïstes aux rencontres de hasard, personnes bienveillantes qui jalonnent l’itinérance de l’auteure. L’immersion hors des sentiers battus au plus près de l’authenticité chinoise constitue un voyage par procuration riche en scènes inoubliables. « Vivre en permanence dans l’instant. Et chaque instant alors se suspend, chaque instant, parce qu’éphémère, devient éternel ? Parce qu’éphémère et éternel, en dernière instance, n’existe pas, seule existe la suspension ? »
Ce livre a une musicalité reconnaissable entre toutes, pleine de douceur et de poésie : « Le ciel. Un grand ciel bleu où passent des nuages blancs, légers comme des voiles. (…) Les nuages glissent sur du bleu infiniment bleu, ici. (…) Bientôt, j’irai toucher le ciel avec les doigts. »
On trouve de tout, rires et colères, obsessions et ratages, scènes hilarantes… Avec ce récit gorgé de lumière, une part d’Adèle O’Longh, inatteignable, semble être restée dans ses pages. Et c’est très bien car ce livre est nécessaire.
Francine Klajnberg
Les Montagnes dans les Nuages, de Adèle O’Longh, Hoëbeke, 2008
Illustration: Détail 1 Macro Micro Terre © Gina Cubeles 2021