Projection privée en Islande paupières mi-closes, nous sommes suspendus aux récits de femmes surnommées « dottir » et d’hommes « son », un territoire minéral comme le désert, le feu sous la glace avec des moutons, encore des moutons… La compagnie Le Château de fable nous embarque pour un voyage littéraire et musical en quatre lectures spectacles qui se dégustent par tranche d’une heure avec des extraits emblématiques de romans islandais.
Karitas, conte l’histoire d’héroïnes fortes qui, en ce début de XXe siècle, aspirent à un autre destin que celui de leurs ancêtres. La mère veut offrir à ses enfants la chance de s’instruire, et pas seulement les garçons, ses trois filles aussi feront des études. L’Islande vient alors d’accorder le droit de vote aux femmes de plus de quarante ans. Parmi elles, Karitas, l’héroïne du roman, qui deviendra une peintre reconnue.
Dans Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefanson, les mots tuent. Bárður, pêcheur à la morue parti en mer sans sa vareuse, occupé à mémoriser les vers du Paradis perdu du grand poète anglais Milton, n’a pas pensé à se protéger du mauvais temps et se transforme en bloc de glace dans l’infinie désolation des eaux noires et profondes. À la sublimation de l’aquarelliste Karitas répond l’attraction du pêcheur pour la spiritualité. Le récit de la sortie en mer est hypnotique. Les joies et les peines des hommes, « pleins d’espérance comme les Islandais le deviennent au soleil » s’expriment par la poésie des paysages, montagnes et fjords où trolls, fées et mauvais génies tentent de déjouer les plans des humains. « Les montagnes sombrent dans l’eau », « la mer est bleue de froid », « mais noire comme le charbon en dessous », et « respire lourdement ». Une terre où l’océan « rêve que le clair de lune est la somme de ses rêves », et qui a « cette lumière capable de te transpercer et de te changer en poète ». Ce grand roman épique nous enchante dans un pays de neige aux mille mots pour la désigner.
La multi instrumentiste Christine Kotschi sublime chaque instant avec un univers sonore qui mêle violon persan, corne, cloche tubulaire, trompette et sansula, une petite kalimba fixée sur une caisse de résonance recouverte de peau tendue, incroyable instrument au son féerique de boîte à musique.
Les mots et les sons se répondent, noirs comme l’encre, verts comme l’été, ambrés comme l’horizon. Ils magnifient une langue lyrique, presque naïve et font vibrer l’imaginaire de chacun des auteurs ; au terme de ce périple, nous n’avons qu’une envie, prolonger la lecture et gagner ces contrées du septentrion. Un moment fort d’amour de la lecture en partage !
Sylvie Boursier
Islande entre ciel et texte, adaptation et lecture de Bénédicte Jacquard, mise en scène de Claude Bonin à l’Épée de Bois, Cartoucherie :
Les jeudis 10 et 17 Novembre à 19h et samedis 12 et 19 Novembre à 14h30
La Géante dans la Barque de pierre et autres contes d’Islande contes oraux collectés par de Jón Árnason et Magnus Grímsson – traduction Ásdis R. Magnúsdóttir et Jean Renaud, Éditions Corti, 2003.
Les jeudis 10 et 17 Novembre à 21h et samedis 12 et 19 Novembre à 16h30
Entre Ciel et Terre de Jón Kalman Stefánsson – Traduction Éric Boury, Éditions Gallimard, 2010.
Les vendredis 11 et 18 Novembre à 19h et dimanches 13 et 20 Novembre à 14h30
Le moindre des mondes de Sjón. Traduction Éric Boury, Ed. Payot & Rivages, 2008.
Les vendredis 11 et 18 Novembre à 21h et dimanches 13 et 20 Novembre à 16h30
Karitas, L’Esquisse d’un rêve, de Kristín Marja Baldursdóttir. Traduction Henry Kiljan Albansson, Actes Sud et Gaïa Éditions.
Le 25 novembre aux Bords de Scènes Athis-Mons à 20h, Entre ciel et terre et Karitas, L’Esquisse d’un rêve.
Photo © Pierre François, détail.