« La poésie est le phare dans la tempête ».
Cette phrase de Mahmoud Darwich est le fil conducteur de la pièce écrite et mise en scène par Tatiana Spivakova.
Son identité démantelée par la perte de « Lui », son mari, « Elle » navigue dans la poésie de Darwich comme Ulysse à la recherche de la terre où s’ancrer à nouveau. La perte et l’exil se font écho dans cette quête existentielle. L’identité est multiple. Le deuil, l’exil, la rupture, la maladie, un changement professionnel, peuvent la déconstruire brutalement. L’effondrement ou la reconstruction sont les seuls possibles, au bout du chemin où l’inconscient fait loi. Le personnage Elle, incarné par la comédienne Hayet Darwich, affronte en battante ce voyage, dans lequel elle est embarquée de force mais toujours accompagnée par les guides salvateurs que sont la poésie et la musique.
Par son histoire et sa culture familiale arménienne et russe, Tatiana Spivakova connaît personnellement ce déracinement et cette quête. Son vécu et son parcours identitaire confèrent au spectacle une force émotionnelle tangible dans le silence habité d’une salle happée par ce qui se vit sur la scène. Les acteurs et les actrices incarnent leurs personnages avec une vérité si troublante que leur jeu théâtral est mis en parallèle avec la sculpture hyperréaliste – comme celle que l’on peut l’admirer actuellement au musée Maillol. Sur son oud, Yacir Rami, présent durant toute la pièce, accompagne Elle et Lui, tel un ange bienfaiteur qui les aiderait à se retrouver malgré la mort. Tout au long du spectacle, la transcendance de la musique et de la langue crée des passerelles qui s’ouvrent sur l’inconnu, l’enfoui, l’inconscient.
La scénographie de Salma Bordes, conçue autour du personnage Elle, convoque différents espaces qui vont et viennent au gré de ses souvenirs et de ses errances, comme un radeau dérivant sous l’emprise d’un vent magique. Des rideaux transparents flottent et fendent l’espace lumière en deux pour cacher ou dévoiler l’inespéré, le corps absent de Lui, interprété puissamment et charnellement par le comédien Alexandre Ruby.
Chaque actrice, chaque acteur, d’origine et de culture diverse, brésilienne, marocaine, algérienne, sénégalaise, libanaise, russe et arménienne, porte son personnage dans le corps et dans le verbe. Toutes et tous ont déjà un parcours artistique exigeant, national et international. La musique, le chant, la danse dialoguent en permanence avec leur talent théâtral.
Frédérique PIERSON
MA TERRE -TON CORPS de Tatiana SPIVAKOVA
Du 10 au 28 janvier, Théâtre Public de Montreuil, Juillet 2023, Nouveau Gare au Théâtre Vitry-sur-Seine, 2023- 2024, Théâtre du Beauvaisis, Beauvais.
Photo © Geoffrey Posada Serguier