D’où venait et qui était vraiment Boulianno Nérélé Isiklaire, « maître conteur, sans doute le maître des maîtres » ?
« C’est lui qui nous chantait les contes dans les veillées mortuaires. (…) Il nous amenait une lumière dans la nuit, et de la vie près des cercueils. Avec lui, les descentes de la mortalité se voyaient jugulées par du respect, des rires et de la joie, dans un amarrage de solidarités. »
Et pourquoi avait-il, un jour, cessé de répondre aux appels ? Pourquoi avait-il dit : non, merci, « sur un ton qui n’offrait pièce envie d’insister ou de savoir pourquoi » ? Et ce, aussi bien à ceux, en ces temps de « perte des magies », dont la demande « relevait plus souvent du folklore culturel que d’une nécessité et de l’âme et du coeur » qu’à « ceux qui remontaient du plus profond de nos ravines pour lui mander-prier un peu de sa voix auprès de leurs morts bien-aimés, des gens de bien pourtant, qui n’avaient jamais connu l’En-ville (…) des gens au fil à plomb, juste désireux de cette lumière qui vient de la Parole, seule grâce capable de soutenir la vie en face de la mortalité » ? Vivait-il encore ? Et si oui, où ?
Ce sont les questions que se posaient quelques « descendants de cette engeance qui, refusant les chaînes et les champs de canne, a envahi les mornes pour déposer ses cases (…) de ceux qui s’en étaient sortis par le galop du marronage, ou de ceux qui dès l’abolition avaient dit pas pour moi aux travaux des békés ». Ils se les posaient surtout depuis qu’une jeune fille inconnue, aussitôt surnommée L’anecdote s’était mise à sa recherche…
« Elle n’avait pas de grandes phrases ni des kilomètres de questions, elle était plutôt dans le sans-bruit, mieux intéressée à lustrer du silence qu’à marteler des mots.(…) Sa manière de marcher évoquait une quelqu’une qui n’était de nulle part, qui provenait de loin, allait encore plus loin, qui ne voulait rien d’autre que ce qu’elle visionnait dans les tourments de son esprit. »
Il y aurait beaucoup à raconter sur ce roman qui nous narre le cheminement d’une poignée d’habitants des mornes, en quête du dernier maître de la Parole qui a rejoint les hauteurs de Sainte-Marie, dans le nord de la Martinique. Mais contentons-nous ici de rappeler que c’est un texte de Chamoiseau. Et que Chamoiseau est un des plus grands auteurs vivants.
Kits Hilaire
Le vent du nord dans les fougères glacées de Patrick Chamoiseau, Seuil 2022
Illustration © Adèle O’Longh