« La clim c’est comme une bite, si tu la mets à fond ça fait mal à la gorge. », balance d’emblée la Saldana avec le rire gras d’un manager de bar topless, alors on prévient à la manière d’À bout de souffle « si vous n’aimez pas le rap, si nous n’aimez pas la techno, si le trash crade vous donne des boutons, allez vous faire foutre » et n’allez pas voir Showgirl adapté du film éponyme de Paul Verhoeven.
Le cinéma a souvent inspiré le théâtre mais les navets inspirants sont assez rares. Showgirls fut éreinté à sa sortie sacré « pire film », « pire scénario » et « pire actrice » pour Elizabeth Berkley, comédienne quasi débutante qui joua le rôle de Nomi Malone, stripteaseuse prête à tout pour réussir à Las Vegas. L’actrice accepta d’être nue durant la plupart des scènes et sa carrière fut brisée nette alors que son interprétation jugée vulgaire était fidèle aux consignes du réalisateur.
Le spectacle mélange des moments du tournage avec Marlène Saldana qui joue tous les rôles sur la musique électro-punk de Rebeka Warrior, des conversations à bâtons rompus entre elle et son complice Jonathan Drillet, certaines séquences muettes sont dignes de M le Maudit.
Marlène, Elisabeth, Nomi, on ne sait plus qui parle par moment dans cette histoire tragicomique haute en couleurs, on apprend notamment que Verhoeven demandait tout le temps à Elizabeth Berkley confondant Einstein et Einsenstein de jouer « comme dans Ivan le terrible ». Marlène Saldana commente en direct pour le public : « Et quand t’es sur une barre de pole dance et qu’on te dit : “Joue comme chez Eisenstein”, tu fais quoi ? Tu écarquilles les yeux. »
Son interprétation tient du cabaret, du mime et du théâtre expressionniste à la Grotowski, en véritable athlète de la scène elle maitrise la composition bouffonne, drag-queen aux ailes brulées sous les sunlights d’un projecteur qui la traque tout au long de sa confession intime. Elle ose la vulgarité des bêtes de sang et de sperme réduites en bouillie pour brutes avinées libidineuses, esclaves d’un Las Vegas peuplé d’ordures, et interroge les limites de l’interprétation. Ce show déjanté pousse à l’extrême le spectacle du grand barnum qui fait du sexe une vaste machine à sous dans une ville adoratrice du dieu dollar et déboulonne l’industrie du spectacle, Las Vegas n’étant qu’une métaphore du cirque hollywoodien. On comprend pourquoi l’Amérique n’a pas supporté le miroir tendu par le film, qui fut ensuite réhabilité. Pour Elisabeth Berkley, le mal était fait.
Jusqu’où peut-on aller ? Connaissez-vous le slut-shaming, littéralement « stigmatisation des salopes » développé aux Etats Unis, un pays qui n’hésite pas à exploiter les corps des femmes sans état d’âme ? Apprendre à dire non, vaste tache ! Marlène Saldana a l’intelligence d’ouvrir un questionnement loin des sentiers battus, en vers décasyllabes de surcroît. « Vous voulez que je sois un Dieu, chantait Charlebois, si vous saviez comme j’me sens vieux […] quand je chante, ça va un peu mieux, mais ce métier-là, c’est dangereux, plus on en donne plus l’monde en veut ». Elisabeth Berkley rejoint Maria Schneider, Maryline Monroe et tant d’autres au panthéon des victimes du Septième art tandis qu’une reine de la nuit explose son image au théâtre Bastille et s’envole haut, très haut !
Sylvie Boursier
Photo © Narcisse Agency
Showgirl, conception, texte et interprétation de Marlène Saldana et Jonathan Drillet.
Inspiré du film de Paul Verhoeven Showgirls, 1995.
Jusqu’au 9 mars au théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette 75011 Paris.
Du 12 au 14 mars au CDN de Besançon.
Du 17 au 19 avril au Quartz, Scène Nationale de Brest.