Ce roman de Robert Bober est aussi un document historique sur l’immédiat après-guerre à Paris. On y observe le monde depuis un petit atelier de couture qui fait de la confection pour dames, où des rescapés de l’holocauste continuent de travailler comme avant, avec sur les épaules le poids des drames liés à l’occupation et à la Shoah, le souvenir de ceux qui ne reviendront pas. Le roman est centré tour à tour sur plusieurs personnages et on suit d’abord un des mécaniciens, Maurice, celui qui monte les vêtements, un rescapé d’Auschwitz mais qui n’en parle jamais, puis le patron qui coupe le tissu, puis d’autres, comme Léon le presseur qui tente de se mettre à son compte ou le jeune fils du patron qui part en colonie de vacances avec des enfants qui n’ont plus de parents.
Tout ce petit monde travaille, discute, se rappelle les horreurs du passé. Tous ne sont pas Juifs d’ailleurs, les finisseuses par exemple. Une des trois l’est mais – le narrateur se moque un peu – elle fait comme si elle ne l’était pas, faisant croire que son accent yiddish est alsacien. L’ensemble est saisissant de réalisme, d’humanité, de tristesse parfois, mais c’est drôle aussi.
L’auteur a vécu cette période, il avait 14-15 ans, il a été tailleur, puis il s’est intéressé au cinéma, est devenu assistant de François Truffaut, puis réalisateur à la télévision. Ce premier roman publié en 1993, soit 47 ans après cette période, est un peu bizarrement construit, mais cela n’enlève rien à la qualité de ce texte, la délicatesse de son style, la force de ce qu’il raconte.
Ainsi on apprend avec stupeur que des inscriptions antisémites fleurissent sur les murs à cette époque, et pas des euphémismes sournois et allusifs comme on les a connus des dizaines d’années plus tard, il est écrit carrément « Les Juifs aux fours crématoires ». Il y a aussi des manifestations contre les Juifs qui veulent reprendre leur logement en revenant de déportation, les manifestants crient « Mort aux Juifs » et provoquent des bagarres.
Ce n’est qu’une petite partie du roman, mais elle nous rappelle que la France antisémite d’avant-guerre n’a pas disparu par la magie de la défaite allemande, l’éradication a pris du temps sans avoir jamais totalement triomphé.
Quoi de neuf sur la guerre ? nous parle d’un milieu artisanal qui a disparu, où les liens humains étaient forts, la solidarité indispensable. Et malgré cet univers protecteur plein de routines et de tranquillité, de blagues et de petites disputes, chacun reste marqué par l’horreur de la Shoah et la peur de ce qui peut arriver du dehors.
Et ça, Robert Bober le montre avec beaucoup d’élégance. C’est un roman passionnant, avec des personnages attachants, à lire si ce n’est déjà fait.
François Muratet
Quoi de neuf sur la guerre ? de Robert Bober, Folio Gallimard 1995
Photo © Gina Cubeles