La nuit Photo Gina Cubeles 2025(2)

La nuit au cœur
de Nathacha Appanah

Nathacha Appanah explique qu’elle a affronté l’écriture de La nuit au cœur avec beaucoup de calme, dans la conscience que le temps était venu pour elle de se confronter à des souvenirs remisés devenus « secs ». Et c’est bien ce qu’elle fait là, elle redonne chair à des traumatismes : sa cousine qui court pour sauver sa peau, sans succès ; elle-même, qui court et réussit à survivre ; et une femme qui court pour échapper à son meurtrier, mais ne s’en sort pas… Même si elle ne connaissait pas cette dernière, il s’agit de la même course, de la même obscurité, de la même pulsion de vie pour échapper au tueur. À l’homme aimé devenu prédateur. Avec, comme fil conducteur, l’obsession qui sous-tend le récit : pourquoi ces hommes voulaient-ils les rayer de la surface de la terre ?

Elle nous raconte l’isolement et la difficulté à briser le silence autour des féminicides. Chahinez est brûlée vive par son ex-conjoint en 2021, Emma est assassinée sur une route mauricienne en 2000… Deux morts qui découlent fatalement de relations marquées par la violence extrême et l’impunité. À travers des propos recueillis auprès des proches et une reconstitution rigoureuse des faits, elle pointe les incroyables défaillances des services sociaux, du système judiciaire et des corps de police, qui, à aucun moment, n’ont protégé ces femmes.

Nathacha Appanah a, dit-elle, voulu faire œuvre littéraire, car c’est « son travail ». Et ce travail, une fois de plus, l’écrivaine le fait bien. Elle nous raconte tout cela de son écriture douce, sa musique inimitable qui module les pires atrocités. Dans la partie qui concerne son histoire, nous sommes en 1998 et elle a vingt-cinq ans. Elle nous entraîne dans les méandres de la domestication progressive et la banalité effrayante des brutalités ordinaires. Et on peine à lire ces lignes, parce qu’on sait que c’est d’elle qu’il s’agit. Comme souvent, et comme dans d’autres livres parfois, on le devine — on sait bien que les auteurs sont toujours, d’une manière ou d’une autre, dans leurs romans. Sauf que là, c’est directement elle, la voix du récit. Et on a mal, littéralement, à l’écouter.

« Il a fallu rêver cet éternel rêve d’un nous et d’un récit commun, ce nous composé de trois femmes, ce récit commun tressé de trois voix, mais toujours se réveiller seule. Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit. »

Kits Hilaire

La nuit au cœur de Nathacha Appanah, Gallimard 2025

Illustration : Gina Cubeles © La nuit 2025