Venez découvrir Raoul en mode funéraire, ou plutôt son fantôme bien vivant qui nous la joue post mortem dans une traversée de ses multiples vies. Regardez-le se lever de son cercueil, se dandiner de cour à jardin avec ses costumes de scènes, ses paillettes, ses accessoires, ses perruques, ses faux seins, ses bribes de souvenirs, son tcha tcha tcha, ses madeleines de Proust au velouté soyeux. Voyez le passer de la scène à la coulisse, de pays en pays, d’images en ramages. Il veut qu’on se souvienne de lui comme d’un magicien, d’un homme pour qui l’amitié est une vertu cardinale. Marcel Maréchal, Dario Fo, Bob Fosse, Anatoli Vassiliev, Jerzy Grotowski, Alfredo Arias et Marguerite Duras furent ses bonnes fées.
Raoul Fernandez est maître d’un lieu où le roi est un enfant, où le ridicule naît du tragique. S’il renaît de ses cendres, c’est pour mieux célébrer la vie, nous partager ses amours, ses emmerdes à la lueur de la servante, cette lampe montée sur un haut pied qu’on laisse allumée dans les théâtres comme un veilleur. Né au Salvador il a appris avec sa mamá, qui lui disait, Raoul, il faut que tu arrêtes toutes ces cochonneries qu’on fait avec les hommes, à travailler le tissu, et deviendra un grand costumier d’opéra et de théâtre. Sauf que l’année suivante, confesse-t-il, j’étais à nouveau amoureux d’un acteur beau comme un dieu, mais l’acteur aime les dames et moi j’ai beaucoup souffert. Avec une liberté de ton affranchi de toute convention, il ne scelle rien de ses efforts pour se faire pousser des seins à coups de pilules qui lui coupent les pattes. Aujourd’hui, revenu de tout cela, il persiste dans son être, comédien, chanteur, funambule, sa seule religion est le théâtre sans lequel une société meurt.
Ils sont trois à avoir concocté ce portrait de l’artiste défunt, l’original dont la vie est un roman, Philippe Minyana, sa plume complice, et Marcial di Fonzo Bo qui le met en scène. Le texte a la simplicité et l’humour du langage parlé à la Raoul dont la mort est appréhendée selon la tradition latino-américaine lors d’une célébration festive. Kurt Weil (Je ne t’aime pas), Michel Vaucaire (Moi je préfère Mozart), Bernard Dimey (Tout cela reste entre nous), María Elena Walsh (Como la cigarra) et Stravinsky ponctuent les différents levers de rideau, translucide au royaume des ténèbres, rouge à paillettes au music-hall, blanc lors des métamorphoses, jusqu’au noir qui conclut le spectacle. Chaque fois, c’est une page qui se tourne.
Qu’est ce qui subsiste de soi une fois le rideau tiré ? On est si petits, Raoul, des ombres qui passent, presque rien, mais six pieds sous terre tu chantes encore. Y a-t-il une vie après le théâtre, ami, toi qui veilles désormais en coulisse avec tes chers disparus et ton public fidèle ? une belle rencontre !
Sylvie Boursier
Photo @Pascal Gély
Il s’en va, portrait de Raoul (suite), mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, création au théâtre des Plateaux Sauvages, à Paris, du 06 au 18 octobre 2025.