La Françoise d’Anne-Marie Lazarini, c’est la copine qu’on aimerait avoir, une femme qui ne cèle rien de ses succès et de ses fours , toujours humble sur son talent littéraire. « J’ai toujours aimé la littérature, disait-elle, elle m’a toujours aidée. C’est la seule réponse à la terre. Je n’ai jamais pensé que je lui rendais service ».
Elle nous emmène dans ses valises, à l’Artistic Théâtre, de New York avec Billie Holliday, en passant par Venise, la Normandie, Cuba avec Fidel, jusqu’à Cajarc ou elle est née. À partir des chroniques de la romancière, parues entre 1954 et 2003 dans Elle, Playboy, L’Humanité, Globe, Vogue, Égoïste, Match, Anne Marie Lazarini a mis en scène Cabaret Sagan, un spectacle ou les spectateurs sont assis autour de petites tables. On se croirait au bar d’un grand hôtel ou au casino ; faites vos jeux, la roue tourne, Françoise, il ne manque que les cocktails dont elle usait et abusait. Sa vie c’est Vivre vite de Carlos Saura, « tout compte fait, disait-elle, whisky, Ferrari, jeu, c’est une image plus distrayante que tricot, maison, économie… de toute façon j’aurais bien du mal à imposer celle-là. »
La pièce nous apprend beaucoup et nous révèle un écrivain plus profond qu’il n’y paraît, une femme aux goûts sûrs qui va à l’essentiel. Ainsi le portrait d’Orson Wells : « Quelle superbe silhouette que celle de cet homme immense en tout, condamné à vivre parmi des demi-nains sans imagination et sans âme ». Sa plume ne cille pas pour plaider la cause de Djamila Boupacha, torturée pendant la guerre d’Algérie, ou faire l’éloge des infirmières injustement maltraitées à qui son corps brisé doit tant.
Trois comédiens évoluent lors d’une trentaine de tableaux parmi les spectateurs, avec beaucoup de fluidité, de simplicité, accompagnés par un excellent pianiste : Guilherme de Almeida.
Une question demeure, cabaret Sagan peut-il intéresser un public plus large que les sympathisants de l’auteur, des personnes qui n’ont rien lu d’elle et ne la connaissent pas ? Nous l’espérons. Car, à une époque où l’on est sommé de prendre position tout le temps sur tout, si possible sans aucune nuance et avec émotion, la fréquentation de Mademoiselle Sagan fait du bien par son absence de moralisme sentencieux, son humour, la justesse de son trait.
Fumeuse mais pas mégoteuse, Françoise, tu as préféré les paradis artificiels aux paradis fiscaux. Malade, ruinée, tu ne feras jamais état de tes « bleus à l’âme » et jusqu’à ton dernier souffle, à 69 ans, tu garderas l’élégance des esprits libres.
Sylvie Boursier
Photo © Jacques Rouchon
Cabaret Sagan, mise en scène Anne-Marie Lazarini, du 12 octobre au 14 décembre 2021 à l’Artistic Théâtre 75011 Paris
Françoise Sagan chroniques 1954-2003, éditions de poche, 2014.
Photo © Zoe Bizeur