Dans Complaisance, Simona Sora nous propose des versions en miroir de l’aliénation. D’un côté, Ascension en orthopédie, et de l’autre, une fois le roman retourné, Hôte à vie. Une première et une deuxième partie, sur le mode du livre à double couverture inversée.
D’une part, la Roumanie des années 1980, celle de Ceausescu, où les enfants s’entassaient douze heures par jour dans des lieux insalubres abusivement appelés crèches, où les petites filles étaient habillées de robes très courtes, puis d’uniformes trop courts aussi, la Roumanie où sévissait « la guerre de tous contre tous »… De l’autre, après la chute du rideau de fer, la Suisse des années 1990, policée, où tout était mesuré, feutré voire rampant, même le racisme. Dans les deux cas, le mur des arrangements, des renonciations, des glissements de conscience, des aménagements en apparence bénins couvrant les crimes…
Elle a pris conscience de cet état de fait très tôt, la jeune protagoniste, Maïa, qui enfant tirait sur sa jupe pour tenter de la rallonger, et restait muette quand l’ami de la famille au volant de sa voiture officielle, une Volga noire, la faisait asseoir sur ses cuisses. Elle qui brisait « périodiquement les jambes, les bras, les paupières » de « générations de poupées démembrées et éviscérées » afin d’en extraire « le mystérieux mécanisme de la forme d’une boîte de pâté (…) pour en faire sortir le gémissement qui confirmait, non la présence de la vie, non, non, elle n’était pas bête au point de croire ça mais la complaisance, la manière dont la vie était mimée, en ondes concentriques et sous différentes formes. » Elle retrouvera ce même mécanisme tout au long de son parcours.
Simona Sora a une belle manière de mêler ironie et humanisme. La candide Maïa, infirmière en Roumanie comme en Suisse, aux prises avec un cynisme érigé en système dans un cas comme dans l’autre, ne manque ni d’humour ni d’imagination. Elle empile avec grâce les traumatismes, comme autant de cailloux dans une besace que l’auteure rend légère, mais qu’on sait pourtant bien lourde à porter.
Kits Hilaire
Complaisance, de Simona Sora, Des Femmes-Antoinette Fouque, 2023
Complaisance de Simona Sora, photo Gina Cubeles 2025