Drôle d’oiseau que ce spectacle, sa veine est ténue et son fil flottant. L’auteur, Pascal Quignard, né autiste, s’est intéressé aux histoires parallèles, comme celle de ce pasteur musicien qui perd sa femme en couches, se réfugie dans le deuil, rejette sa fille, se dissout dans l’écoute des bruits du monde, chants d’oiseaux et sons de la pluie puis renaît. Il note sur une page blanche, « tous les chants des oiseaux qu’il avait entendus, au cours de son ministère venir pépier dans le jardin de sa cure ». Attentif aussi « à l’appel des chants de la forêt et des vagues des onze lacs glaciaires qui entouraient sa maison », notant « jusqu’aux gouttes de l’arrivée d’eau mal fermée dans l’arrosoir sur le pavé de sa cour ». Après sa mort, Rosamund, sa fille, publiera l’œuvre de son père à compte d’auteur.
La scène est structurée en deux espaces séparés par une frontière invisible. À l’une des extrémités un homme fait sécession, tout entier livré à la souffrance d’un deuil cultivé avec passion, goulûment, comme l’enfant berce son doudou. Sa fille n’a aucune place reléguée « dans l’angle mort de sa solitude », elle s’enfuit puis s’ouvre au ravissement du monde dans une écoute absolue des bruits autour d’elle. Une heure 30 leur sera nécessaire pour franchir pas à pas le Rubicon qui les sépare, s’ajuster dans un espace tiers, celui de la création, de la sublimation.
Marie Vialle adapte et porte le récit de Pascal Quignard, après Le Nom sur le bout de la langue, Triomphe du Temps, Princesse Vieille Reine et La Rive dans le noir du même auteur. Elle entretient avec lui une relation intime, organique, « son écriture, dit-elle, est un tissu d’intense mélancolie, d’humour piquant et tendre, c’est un terrain que je connais bien, qui m’appelle et où j’aime me trouver ». Elle est une Rosamund vibrante, tout en délicatesse, passeuse totalement ouverte à la musique du texte de Quignard. Laurent Poitreneaux a cette présence hypnotique, terrienne, une façon d’être habité à la Claude Régy pour lequel les mots s’écoutent, les gestes s’observent, l’ensemble se coule dans des séquences appuyées où la respiration est essentielle, la diction scandée et monocorde. On se souvient avec émotion de son interprétation de Jan Karsky au théâtre de la Colline en 2017, ce résistant polonais choisi par les juifs du ghetto de Varsovie pour témoigner de leur extinction. Il avait cette présence hantée par un message trop lourd. Vouté, il arpentait l’espace pas à pas avec un monologue d’une heure 30 et on ne le quittait pas des yeux. Les silences trouaient sa parole et la défaite de cette même parole puisqu’il ne fut pas écouté.
Saluons la performance des deux interprètes dans un parler chanté mimétique des vocalises du rouge-gorge, mésange bleue, pinson, mouette et consœurs ; on a le sentiment qu’ils n’ont pas à cœur de faire du théâtre mais de partager avec nous une expérience inédite. Dommage que la mise en scène ne soit pas tout à fait au diapason, trop linéaire, on ne comprend pas bien la nécessité d’un recours à la projection d’images, au nu des deux comédiens.
Dans ce Jardin qu’on aimait reste en tête, malgré ou peut être grâce à son hermétisme, résiste à tout mode d’emploi, fable, psaume, oraison funèbre, traité d’ornithologie ou nô japonais ? tout cela à la fois, chacun verra. D’un abord très immédiat, il ne nécessite aucune culture mais plutôt une forme d’abandon libre, sans attente. Saviez-vous que le merle s’essaie à chanter avec ses congénères et lorsqu’il juge son art abouti chante pour lui-même ? Pascal Quignard écrit ce qu’il veut quand ça lui chante.
Sylvie Boursier
Photo © Jean Louis Fernandez
Dans ce Jardin qu’on aimait, mise en scène de Marie Vialle
Texte de pascal Quignard, éditions Folio 2019
Du 16 janvier au 02 février 2022 au théâtre de la bastille
Du 08 au 11 février, théâtre Garonne Toulouse, du 28 mars au 07 avril, Célestins théâtre de Lyon, 11 et 12 avril La Comète Châlons-en-Champagne.