Forêt © Adèle O´Longh

Dans les murmures de la forêt ravie
de Philippe Alauzet

Loup y es-tu ?

Depuis les quelques années que je fais cette chronique, j’ai souvent été admiratif de la qualité d’écriture de certains textes, j’ai apprécié les performances poétiques de certains auteurs. Mais il me semble que là, c’est la première fois que je suis autant impressionné par une écriture. Elle est belle, évocatrice, innovante, avec des phrases si fortes qu’on les relit d’abord pour le plaisir, ensuite pour comprendre comment c’est fait, comment l’auteur choisit ses mots, ses images, pourquoi c’est si réjouissant.

« Tout, à perte de vue, et tout, autour, refermé sur ses pas, n’était qu’alignements de troncs bougeant dans le ciel vertigineux leurs tignasses crépues de girafes placides. »

L’histoire est forte aussi, elle se déroule dans un temps indéterminé, sans doute de nos jours mais les indices sont rares. Dans un lieu imprécis aussi, probablement le sud-ouest mais ça pourrait être ailleurs.
On est dans une campagne, dans un milieu paysan, des éleveurs de brebis, un milieu bouleversé par la présence d’un loup qui se cache dans la forêt et frappe de manière terrible et démesurée où il veut et quand il veut.

« L’homme regardait vers la forêt. Une enceinte lointaine et proche qui encerclait le pays, bouchant tout horizon. N’importe où que se pose le regard, elle était là, barbouillée de brume. Comme elle était impénétrable, ses yeux y cherchaient les bêtes d’avant, celles des nuits de pleine lune, celles qui se cachaient derrière les portes, sous les lits. Il était là le monstre, celui qui avait planté ses crocs et ses griffes dans le cou des brebis, à peine bu leur sang, négligé leur chair (d’où les bêtes fauves tuent-elle sans nécessité, par seul goût du carnage ?). »

On n’est pas loin du conte, mais alors ce serait un conte bien noir où le chaperon rouge, Agnès, serait une jeune femme au tempérament d’acier et pourtant au service de son père, sa boniche comme elle dit. Un père taiseux et terrible. Dans cette famille, la disparition de la mère est un lourd secret, la justice s’en est mêlée mais sans résultat, le père est alors revenu de prison et l’énigme demeure.
Lorsque le roman s’emporte, du fait du loup et de la forte tension qui pèse sur les destins humains, la poésie du texte contamine le récit et le terrible loup des bois se confronte au vieux loup humain, c’est magnifique et envoûtant, il faut lire ces phrases lourdes et terrifiantes.
Et puis il y a le chien, Pentecôte, tellement vivant, tellement expressif, tellement vif et soumis à la fois, un très beau personnage aussi, pour lequel on a peur de ce qu’il pourrait croiser, de ce qu’il pourrait oser.

Un texte court, vibrant, sur la ruralité et l’idée que Philippe Alauzet s’en fait, nous en fait, une ruralité intemporelle et épique, un roman à lire absolument.

François Muratet

Dans les murmures de la forêt ravie de Philippe Alauzet, Rouergue Noir, 2023

Illustration : Forêt © Adèle O’Longh