Éteignez la lumière ! Et autres sombres histoires est une mosaïque de nouvelles aux tons très différents. Parmi elles, l’une tranche sur les autres et s’apparente à un court roman : Chair fantôme.
Le texte est une plongée dans les traumatismes infantiles que l’on traîne après soi toute une vie. L’enfance, avec son cortège de blessures, de déceptions, d’impuissance face aux dictats des adultes.
La nouvelle est construite comme une tragédie classique, un prologue et trois actes. On se doute donc que ça se finira mal. Le prologue plante le décor ; la mère a un cancer du sein. La petit-fille a neuf, dix ans, ses parents sont séparés, on lui apprend à survivre et non à vivre.
Malgré son caractère bien trempé et son aptitude à se défendre contre les contrariétés du quotidien, la petite jamais nommée est prise dans les attentes des adultes. Elle fonctionne sur le mode survie que lui a appris sa mère, comme pour se préparer à la guerre. Les enfants s’adaptent à tout, même au malheur. « Je fais ce qu’on me dit. Ni cris, ni scène, ni caprice, jamais. » Ce langage de l’enfance à la résonance émouvante n’est pas sans nous rappeler Le Petit Nicolas de Sempé. Le ton est ironique pour dénoncer les mensonges des adultes.
La petite fille ne peut pas grandir, même si elle prend sur elle pour dédramatiser des situations douloureuses. On assiste, impuissant, à sa mort psychique. On retrouve là le mythe de Médée ; sa mère finira par lui enlever toute raison de vivre. « Je veux juste être gentille et ne déranger personne. (…) Ça fait combien de temps que je n’ai plus joué à marcher sur un muret ou à grimper ? Que je n’ai plus ni ri ni pleuré ? Ni ressenti quoi que ce soit ? »
Élise Fugler a une sensibilité à fleur de peau. Elle tient en joue les trop-plein émotionnels dans une attitude frondeuse. Elle nous invite à suivre pas à pas le monde de la pensée enfantine avec une grande pudeur, à exprimer les blessures tues.
« Laisse pas tomber maman ! Surtout ne laisse pas tomber ! »
Francine Klajnberg
Éteignez la lumière ! Et autres sombres histoires, Élise Fugler, Après la Lune, 2020
Photo © Estudios Micro Urbà Gina Cubeles 2019 París