« Ça ira Fin de Louis » est une fiction politique de Joël Pommerat qui l’a mise en scène avec sa compagnie, Louis Brouillard. Elle explore la genèse des situations qui ont conduit progressivement le peuple français à abolir la royauté et à instaurer la république. Dans le récit de Joël Pommerat, pas de figures révolutionnaires historiques hormis Louis XVI et Marie-Antoinette mais des inconnus issus de la noblesse, du clergé, du tiers état, tous représentatifs des intérêts en présence. Ce sont les idées qui sont mises en valeur, pas les personnages. Les débats ont été largement documentés à partir de sources historiques, discours, articles de journaux, cahiers de doléances. Les comédiens ont enrichi l’ensemble par leurs improvisations.
On est frappé par l’actualité des questions débattues, la coupure entre le peuple et les élites, la tension entre l’urgence sociale et l’ambition constitutionnelle de long terme, l’équilibre entre le rétablissement des finances publiques, l’austérité et la relance de plans sociaux, la récupération politique de la violence pour légitimer un retour à l’ordre.
Le texte se lit comme un thriller et nous tient en haleine de bout en bout ; on croirait assister en direct aux invectives de nos députés actuels dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, aux tractations de coulisses entre les groupes, aux débats souvent passionnants et parfois cocasses qui président au contrat social.
En août 1786, le premier ministre Muller, inspiré du personnage de Necker, présente au Roi un projet de réforme des finances pour endiguer la faillite du budget de l’État et ouvre ainsi un débat qui mènera à la réunion des états généraux de 1789 puis à la création de la première Assemblée nationale. Le cahier des revendications établi par les comités de quartier va des enjeux climatiques pour une ville comme Paris, jusqu’à l’aspiration à une égalité de traitement en passant par les doléances des artisans confiseurs qui se plaignent de la concurrence déloyale des bonnes sœurs fabriquant en toute impunité des produits à bas coût.
La primauté est donnée au débat avec les discours à l’assemblée ; les grandes décisions peuvent pencher d’un côté ou d’un autre. A la tribune s’écharpent les « pragmatiques » partisans du retour à l’ordre et les « utopistes » qui veulent « fonder une société dont le but est le bonheur général ». Une soif inextinguible d’expressions politiques et d’espaces communs se fait jour dans un pays muselé où toute opinion déviante était sanctionnée. Les citoyens révolutionnaires s’engageaient sans être encartés dans un parti. Extraordinaire parole libérée, sans élément de langage mais à base d’arguments, beaucoup en sont presque éblouis, ainsi le député Ménonville « toute la journée vous entendez des gens raisonner d’une manière tellement fine, avec des arguments puissants, qu’à la fin vous ne savez plus où vous situer vous-même… j’ai participé à un coup d’État contre le roi de France… et je ne l’ai pas réalisé immédiatement ». En même temps le peuple a faim, la révolte gronde dans les comités de quartier, on évoque les réquisitions, la riposte aux violences policières, « Serai-je capable de prendre la vie d’une autre personne… pour préserver l’espoir qui est apparu en moi, dit un personnage ». Pendant que les députés écrivent à Versailles La déclaration des droits de l’homme, les émeutes se multiplient, un soir de juillet on s’empare de la Bastille. L’histoire est en marche, on connait la suite, dès 1992 le peuple occupe le devant de la scène.
Le roi reste aveugle sur la portée d’évènements qui allaient trois ans plus tard tout balayer de l’ordre ancien. Mais qui l’eût imaginé ? Il est très vite instrumentalisé par l’assemblée et reste persuadé d’être le seul recours « Cet épisode tragique prendra fin, déclare-t-il, et ça ira, vous verrez, ça ira… juste un peu de patience et de sang-froid, et ça ira ». Dans le film de Pierre Schoeler « Un peuple et son roi » sorti en 2017 on voyait Louis XVI monter à l’échafaud, regarder interloqué la foule sur la place du Carrousel en murmurant « Où est mon peuple ? », plus bas un murmure « J’ai peur ».
J’ai voulu, dit Joël Pommerat « donner au spectateur (ou au lecteur) le sentiment de découvrir l’événement au présent, de l’emmener vers le passé ou, plus exactement, de le faire voyager dans le présent du passé plutôt que de tirer l’histoire vers l’époque où il vit ». L’écriture est simple, dépouillée, essentielle.
Aujourd’hui la politique est discréditée, les notions de constitution, de contrat social vidées de leur sens, le mot révolution lui-même a été récupéré et teinté de relents nationalistes. Joël Pommerat redonne sens à ces fondements de notre société, à l’apprentissage du difficile débat démocratique « un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes, selon Churchill ».
Sylvie Boursier
Photo © Elisabeth Carecchio.
Ça ira (1), Fin de Louis, éditions Actes sud 2016
Ça ira (1), Fin de Louis, mise en scène de Joël Pommerat, spectacle crée en 2015 à Mons, tournées et reprises à prévoir.