Zoo
Jeannette est une petite fille épatante qui a dix ans au début du roman et qui aimerait rencontrer au zoo de Vannes Éléonore, une crocodile trouvée dans les égouts de la ville de Paris. Elle vit avec sa mère qui a du mal à gérer sa propre vie, à retrouver les bouteilles qu’elle cache dans la maison, alors pour ce qui est de s’occuper de sa petite fille très dégourdie, et même simplement aller au zoo de Vannes, c’est compliqué.
D’autres personnages émouvants évoluent dans ce roman, comme le tonton qui a un handicap mental et vit dans une institution, qui commente de loin ce qui se passe, le maire qui essaye de combattre la relégation de sa petite ville, de profiter des eaux thermales pour attirer les touristes, Robinson, le camarade de Jeannette, avec qui elle parcourt les bois et fait des projets pour changer le monde, Éric, le père de Robinson, ouvrier en lutte dans une usine qui ferme, qui est sans doute malheureux en ménage, Gégé, le patron de bistrot qui est revenu de tout.
Et puis arrive, dans ce microcosme qui fonctionne plutôt mal que bien, un drôle de type, séducteur et baratineur, un pur sale type même, tellement un sale type que la narratrice commente ses actes par de drôles de N.d.T. entre parenthèses, très critiques comme pouvaient être les N.d.c. (notes de la claviste) dans le Libération des années 70-80.
Car Dirck, qui s’appelle Thierry en vrai, bouleverse ce petit monde fait de désillusions, d’accommodements, de résignation, d’espoirs aussi. Il charme les uns et couche avec les autres, espionne et manœuvre en douce, et on s’énerve évidemment, on prie pour qu’il soit démasqué parce que les dégâts de ce nuisible sont de plus en plus visibles.
Comme dans Les Mauvaises, roman précédent que j’avais beaucoup aimé, on est dans une ambiance à la fois lourde et désespérée, servie par un style précis, délicat, des expressions qui sonnent juste. Les personnages sont tellement vrais et touchants qu’on les aime et on veut les aider (sauf cette saleté de Dirck, bien sûr). Ils se débattent contre la tristesse, les horizons bouchés, la dégringolade, ils sont prêts à s’accrocher à n’importe quelle idée débile qui pourrait leur faire croire qu’ils vont sortir de cet enfermement.
Heureusement qu’il y a Jeannette, qui ne se résigne pas, qui grandit et devient une grande jeune fille, qui mène sa petite vie avec son ami Robinson. Ils ont des projets fous, radicaux, et on espère, parce qu’on est naïf, que ça va marcher.
Jeannette et le Crocodile est un livre à lire, c’est beau et agaçant, sombre et désespéré, lumineux par à-coups. Une réussite.
François Muratet
Jeannette et le Crocodile, de Séverine Chevalier, La Manufacture de Livres, 2022
Photo © Adèle O’Longh