La Grève des mères au théâtre de l’Opprimé
« Refuse de peupler la terre… Déclare la grève des mères », chantait Montéhus en 1905.
Lorsque l’enfant disparaît, n’en déplaise à Françoise Dolto, les pères s’éloignent, ne restent que trois femmes au bord de la crise de nerfs. La première enceinte jusqu’aux yeux devrait accoucher mais ne le veut plus, la seconde aimerait mais ne peut pas quand leur mère, magnifique d’humanité, tente d’apaiser la situation. Dans Lysistrata d’Aristophane les femmes faisaient la grève de l’amour pour forcer les hommes à faire la paix. Deux millénaires plus tard chez Christian Roux le monde dans son ensemble n’est plus désirable et beaucoup de femmes refusent de l’imposer à un être nouveau, « j’avais honte de laisser tomber mon enfant dans une auge pleine de merde », dit Amélie.
Allégorie dystopique aigre douce au début la pièce se conclut en apocalypse. Les secrets de famille une fois dévoilés, l’amour tient entre les trois femmes unies envers et contre tout. La scénographie à base de panneaux en bois évoque une cabane reculée protégée du monde violent qui tape à la porte régulièrement au propre comme au figuré sur un refrain en boucle « il est né le divin enfant », rappel de l’allégresse convenue qui accompagne traditionnellement la naissance.
Mort de la famille au sens traditionnel, désenchantement du monde en proie à une violence dévastatrice, remise en question des fondements de notre société, Melancholia de Lars Von Trier montrait deux sœurs confrontées à un monde qui leur échappe, l’une mélancolique, l’autre terre à terre, rationnelle et résistante, l’homme quittait le navire face à la fin de l’humanité proche. Toutes proportions gardées, La Grève des mères est plus léger et plus drôle, quelque chose de cette thématique s’invite dans ce spectacle qui interroge le désir d’enfant aujourd’hui. Chaque personnage a sa vérité livrée face public, avec des comédiennes très justes, Pascaline Schwab, Lorédana Chaillot et Claude Viala.
Quelles raisons d’espérer ? Il n’y a évidemment pas de réponse unique à cette question anthropologique, chaque spectateur aura la sienne. Christian Roux nous laisse avec ces questions existentielles, comme une invitation à formuler nos envies, nos croyances, ce qui nous fait tenir avant la secousse finale, allez voir si vous êtes en Avignon cet été cette parabole contemporaine sur l’état du monde, le pire n’est jamais sûr mais toujours à craindre.
Sylvie Boursier
Photo © L.Ricouard
La Grève des Mères texte et mise en scène de Christian Roux.
Vu au théâtre de l’Opprimé, festival d’Avignon théâtre du Centre du 7 au 29 juillet 2023 à 16h 35.