J’ai lu La guerre est une ruse de Frédéric Paulin et j’ai été très impressionné par la maîtrise du sujet, du contexte, des implications de cette histoire pas banale qui nous fait entrer dans l’univers des services secrets algériens, le DRS, et surtout dans celui de la DGSE française.
Cela se passe dans les années 1990, lorsque le GIA, branche armée du FIS – parti islamiste qui s’est fait confisquer le pouvoir que les urnes lui avaient donné – sème la mort à tour de bras en guise de guerre de reconquête. De son côté, la junte militaire, non seulement en tire argument pour justifier son emprise et ses méthodes, mais y va tout aussi allègrement dans l’arrestation, la torture, les exécutions d’Algériens qui s’opposent à elle, qu’ils soient ou non islamistes.
La Guerre est une ruse est un roman très noir, avec des personnages durs et fragiles à la fois, qui traînent leur mal-être, gèrent comme ils peuvent les écarts douloureux entre leur origine et de leur nationalité, leurs idées et leur mission, assument tant bien que mal leurs destins compliqués, leurs trahisons et leurs mensonges, ont l’espoir déraisonnable de s’en sortir alors que tout s’effondre autour d’eux.
On savait que cette période d’attentats et de massacres avait été affreuse pour les Algériens et les étrangers présents en Algérie. Avec ce roman, on prend conscience de ce que ça implique : la terreur permanente, les atrocités, la rouerie des militaires, la perversion des services secrets, la sensation d’être pris entre le marteau et le marteau. La Guerre d’Algérie, trente ans auparavant, n’est pas loin dans les esprits avec son lot de massacres et de tortures, et le gendarme colonial est toujours là, même s’il reste en retrait. Il regarde agir sa victime d’hier, son élève d’aujourd’hui, il le voit sans émoi appliquer ses méthodes, il est préoccupé par l’avenir, c’est-à-dire par la préservation de ses intérêts.
Car le rôle de la France est bien trouble, un rôle de client et d’investisseur, de garant moral international et de complice des exactions, d’espion et de conseiller, de manipulateur et de manipulé. Comme le prophétisait de manière ambiguë de Gaulle en 1960 (« La France restera en Algérie, j’en réponds »), la France est restée en Algérie, elle lui est liée de par le passé colonial, les flux migratoires, les échanges commerciaux, elle en tire non seulement des profits mais aussi une position dominante dont le roman rend bien compte. C’est cette position que les militaires cherchent à exploiter à leur avantage, en provoquant la compromission du gouvernement français pour le plus grand désarroi des agents sur place qui ne savent quelle partition jouer.
Dans ce roman, Frédéric Paulin défend une théorie sur les relations entre GIA et pouvoir militaire qui, à défaut d’être totalement convaincante parce que parfois contradictoire, structure ce roman et lui donne sa force. L’immersion dans les services secrets français plus ou moins livrés à eux-mêmes, le récit de ces années de terreur, la découverte des paysages urbains dégradés, des déserts et des camps de concentration, tout cela est une réussite, et même un tour de force.
La guerre est une ruse est un texte puissant, un univers romanesque à découvrir, une écriture précise et évocatrice, bref un roman à lire.
François Muratet
La guerre est une ruse de Frédéric Paulin, éditions Agullo
Note : Ce roman vient d’avoir le Prix du Noir historique organisé par Les Rendez-vous de l’histoire et les bibliothèques d’Agglopolys (Communauté d’agglomération de Blois).
Ce doit être le 4e prix qu’il reçoit cette année après le Grand Prix du roman noir du festival du film policier de Beaune, le Prix des lecteurs Quai du Polar et le Prix Marguerite-Puhl-Demange.
Photo DR.