Que pourrait dire Bruscon, le Faiseur de théâtre, s’il rencontrait Svetlovidov, le héros de Tchekhov ? Ils sont les deux faces d’une même pièce, la figure du comédien vieillissant qui a raté sa vie, un bouffon. Mais si le Bruscon de Thomas Bernhard vomit sa bile noire sur le monde entier, Svetlovidov, lui, se consume de l’intérieur. Adieu la vie, adieu l’amour, le comédien de Tchekhov voit « un trou noir sans fond, une tombe (…) quel froid ».
La seule manière de conjurer les angoisses existentielles, nous dit Tchekhov dans ce texte, c’est l’art. Son héros a pour amis Othello, Lear, Hamlet et Godounov ; une vraie famille de substitution.
Pour satisfaire son public, une population d’oisifs dont il s’est fait le jouet, Svetlovidov s’est fourvoyé dans la vulgarité et la bassesse. Mais ce soir-là, pour la dernière fois il va se racheter et avoir son chant du cygne.
Cette courte pièce de jeunesse écrite à 26 ans est injustement méconnue. C’est, selon l’expression de l’auteur, le plus petit drame du monde où se jouent, confondues sur la scène, les grandeurs et les petitesses de l’artiste. Le Chant du cygne semble être l’Opening Night de Tchekhov, selon l’heureuse expression d’Éric Ruf, ce film sublime de John Cassettes où Gena Rowlands interprète une actrice traversant une crise de vie très similaire à celle du personnage qu’elle doit incarner au théâtre.
L’œuvre s’inscrit dans une série de courtes pièces, parmi lesquelles on trouve l’Ours, La Demande en mariage, Le Tragédien malgré lui, La Noce et Le Jubilé.
« Personne n’a compris avec autant de clairvoyance et de finesse, le tragique des petits côtés de l’existence », écrivait Maxime Gorki en parlant du théâtre de Tchekhov. Ce drame l’illustre parfaitement.
Sylvie Boursier
Le chant du cygne, Anton Tchekhov, éditions des solitaires intempestifs 2005.
Mise en scène par Julie Brochen de cette pièce prévue en 2021 à Paris, avec Georges Bécot et Florian Ould-Rabah.