Pour ce difficile début d’année 2025, un peu de douceur venue de la publication en poche du livre de Ruth Ozeki, Le Fardeau tranquille des choses, ne sera pas de trop. D’autant que ce roman atypique fait six cents pages, ce qui nous laisse le temps de respirer…
« Benny n’avait jamais fait partie des élèves populaires à l’école, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des amis – toujours des garçons de petite taille, fuyants, un peu bizarres, des garçons aux yeux fatigués et aux cheveux sales… »
Benny a perdu son père, Japonais musicien de jazz et grand ami des corbeaux, homme doux et aimant, écrasé au retour d’une bringue par un camion sous les yeux de sa fantasque femme américaine, Annabelle. Depuis lors, les objets lui causent.
« Bon, mettez-vous à genoux et collez votre oreille contre votre chaise, ou retirez votre chaussure et écoutez (…) Parfois, c’est tout un chœur qui s’élève d’un même objet, surtout si cet objet a été fabriqué par plusieurs personnes (…) à Guangdong, au Laos ou je ne sais où (…) dans leur atelier de misère (…) dans le cas où un sentiment de tristesse ou de colère aurait infiltré votre chaussure, gare à vous, car cette chaussure pourrait, par exemple, vous faire marcher droit jusqu’au magasin Nike et vous donner envie d’exploser sa vitrine avec une batte de baseball fabriquée à partir d’un bois plein de haine. »
Dans une Amérique trumpienne, tandis que sa mère, qui laisse tout partir à vau-l’eau depuis la disparition de l’homme aimé, remplit leur petite maison d’objets trouvés, Benny, en mal de dépouillement, se réfugie à la bibliothèque où les voix s’apaisent au contact des livres.
« On vit la vie de la naissance à la mort, depuis le début vers un avenir incertain. Mais les histoires, elles, apparaissent a posteriori. Les histoires sont des vies vécues à rebours ».
Vivre sa vie à rebours, la reprendre, la retisser, l’adolescent en a bien besoin. Entre les menaces d’expulsion et la dépression d’Annabelle, Benny va trouver sa voix propre et écrire – ou laisser écrire, et même se laisser écrire par -, son livre, à lui, sa propre symphonie.
« Votre rôle est celui du chef d’orchestre dans une fanfare géante (…) et vous êtes là, devant, perché sur cet immense tas d’ordure qu’est le monde, les cheveux plaqués en arrière, avec votre queue-de-pie et votre baguette en l’air, au milieu de tous ces objets avides, et l’espace d’un instant, d’un magnifique instant, juste le temps que votre baguette s’abaisse, toutes les voix se taisent.
Musique ou folie. C’est à vous de voir, entièrement. »
Kits Hilaire
Le Fardeau tranquille des choses de Ruth Ozeki, 10/18, 2024.
Photo © Gina Cubeles 2024