Théobald Badaire et Fulbert Béranger fleurent bon la naphtaline et le monument aux morts. Ces Roux-Combaluzier de la dragée haute bouffis de suffisance livrent une conférence imaginaire dans un amphi sorbonnard entre un écorché de dissection et des piles d’encyclopédies face à un parterre d’enfants lors des matinales dédiées aux scolaires.
Jean Charles Clichet et Julien Honoré se déchaînent, Bouvard et Pécuchet fidèles à la devise du sapeur camembert « quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ». Ils enfilent in extenso Hésiode, Darwin, Jean-Jacques Rousseau, Botticelli, Shakespeare, Harry Potter, Sheila et Michel Foucault, en passant par Diderot et d’Alembert, sans se préoccuper des écervelés « qui errent comme des poulets sans tête » sur les gradins. Un gavage des ouailles à l’ancienne comme si le metteur en scène Christophe Honoré voulait provoquer le parterre, souffler le chaud et le froid avec, au-delà du ridicule, de vraies questions sur ce qu’est apprendre et enseigner. Des protestations véhémentes émergent de la salle lorsque nos deux compères se défoulent sur leur jeune laborantin Sylvain Debry ou déplorent les méfaits du divorce sur l’apprentissage. Les adultes apprécient.
Dans la seconde partie tout s’emballe et les doctes savants transforment la salle de cours en défouloir, Chamallows chez les Grecs, expérience électrostatique en direct sur la paillasse, conversation avec l’esprit du Père Noël et jeu du dictionnaire, tout y passe, le public est invité sur le plateau pour une danse qui ne s’imposait pas, de même que le concours de pets et de rots, Christophe Honoré assume.
A 25 ans, il publiait à l’École des loisirs et n’a cessé de s’intéresser dans toutes ses créations aux sujets liés à la transmission transgénérationnelle, familiale, ce qu’on se dit, ce que l’on cache, que les enfants découvriront plus tard.
Toute éducation réussie passe par la désobéissance. Apprendre à dire non aux enfants, ce précepte parental est réversible selon le metteur en scène qui l’applique au champ pédagogique. Voilà une forme de théâtre forum étonnant, foutraque, le monde à l’envers, des adultes se conduisent comme de vrais mômes, n’ont qu’une envie c’est de jouer. Le quatrième mur vole en éclat dans une performance qui a tout d’un happening. Bravo aux 3 comédiens tout-terrain, capables d’improviser sur le fil dramatique de la narration, il faut avoir un certain nombre de km au compteur pour faire ça et la pochade révèle un horizon de questions avec des instants émouvants « à peine avions nous fait connaissance, que nos paroles se mirent à couler intarissablement, les remarques succédant aux anecdotes, les aperçus philosophiques aux considérations individuelles. Chacun en écoutant l’autre retrouvait des parties de lui-même oubliées ». On espère que les professeurs présents dans la salle sauront exploiter le moment avec leurs élèves et cultiver chez eux l’envie de théâtre, un des rares lieux aujourd’hui où l’on dit la vérité par le truchement du masque.
Sylvie Boursier
Photo © Jean Louis Fernandez
Les Doyens mise en scène de Christophe Honoré, vu au théâtre des Abbesses à Paris le 9 novembre 2023
Tournée :
28 novembre au 1° décembre : MA scène nationale de Montbéliard
6 au 8 décembre 2023 : Le Volcan, Scène nationale du Havre
21 au 23 décembre 2023 : Théâtre National de Nice
11 et 12 janvier 2024 : L’Agora scène nationale de l’Essonne, Evry
17 au 21 janvier 2024 : Théâtre de Vidy-Lausanne, Suisse
16 et 17 avril 2024 : TANDEM Scène nationale de Douai
Saison 2024-2025 en cours de programmation.