Les Possédés d’Illfurth, seul en scène, Avignon festival off
Le petit roi de sept ans arrive avec son tambour, une couronne et une cape noire. Il chasse les démons à Illfurth son village natal comme un voltigeur, chevalier de l’âge du fer, joue comme un enfant. Dans l’épilogue, une heure dix plus tard, et une trentaine d’années après dans la vie de Lionel Lingelser, il joue encore mais un grand comédien est né. Il a dû vaincre ses traumatismes, surmonter l’effroi, l’énurésie, le viol et trouver le duende.
La rencontre fondatrice pour lui se produit à vingt-cinq ans avec le metteur en scène Omar Porras, alias le Sorcier, qui l’a choisi pour le rôle-titre des Fourberies de Scapin. Celui-ci lui demande de se mettre à nu pour trouver son personnage « tu dois comprendre el duende, dit-il », plutôt que vouloir l’interpréter. Beaucoup de jeunes acteurs se reconnaîtront dans ce dialogue de sourds entre un maître et son interprète. Car évidemment personne ne leur dit comment faire, moment hilarant et terrible, le roi est nu et doit trouver les moyens d’avancer.
Comme Joël Pommerat, Lionel Lingensen utilise les archétypes du conte, le sorcier, le diable, l’exorciste, pour décrire la détresse intérieure à laquelle il voudrait échapper en jouant. En effet son corps fut bel et bien possédé mais par un condisciple de son âge dont il subit les viols répétés pendant cinq ans. La grande ethnologue Jeanne Favret-Saada, qui a passé trente mois dans le bocage mayennais pour étudier la sorcellerie, disait « être ensorcelé c’est être pris dans la répétition des malheurs ». Lionel n’a pas eu besoin d’un exorciste, sa résilience à lui c’est la scène qu’il investit de manière organique. Il joue tous les rôles, le curé alsacien, sa mère naturopathe, une galerie de portraits qui ont jalonné sa vie. Il arpente le plateau, saute, tombe, rebondit, danse. Rompu aux masques, au mime, il a développé une esthétique de jeu dans sa compagnie, le Munstrum, à la fois physique et légère, sans aucun pathos ni afféterie, avec la simplicité d’un être élégant qui a la grâce. Ce spectacle fait son chemin longtemps après l’avoir vu. On n’oubliera jamais le moment où le comédien semble avoir un trou de mémoire. Après une minute de silence complet, c’est très impressionnant, il nous embarque dans un cauchemar qui le fait traverser les cercles de l’enfer, visiter un lupanar et retrouver enfin son texte. Il ouvrira les portes des salons réservés aux sodomites, hérétiques et autres spécialités d’un back room d’anthologie. Là il finira par rencontrer, enfin ! Le duende qui démystifiera le mystère qui l’entoure, « c’est des conneries d’intello tout ça. Le vrai combat c’est la joie ». Qu’il joue Scapin ou Hamlet, le comédien connaîtra toujours l’angoisse et la joie dont parlait si bien Philippe Avron : « J’ai une couronne sur la tête, un sceptre, un habit d’or. Je me redis mon texte. J’ai peur. Je fais un pas. Je suis roi ».
Écoutez Lionel Lingelsen, regardez-le, tout simplement.
Sylvie Boursier
Photo © Jean louis Fernandez
Les Possédés D’Illfurth, de Yann Verburgh et Lionel Lingelser, mise en scène et interprétation de Lionel Lingelser, La Manufacture intramuros, Avignon off du 7 au 26 juillet à 19h35 relâche le 20/07
Tournée : septembre 2022 à Saint-Louis, Colmar, Illzach, octobre 2022 Verdun, Cherbourg, Mâcon, novembre 2022 à Toulouse, Albertville, Metz, Forbach, décembre 2022 à Dinan, janvier 2023 à Bischwiller, Obernai, Evreux, avril 2023 à Montreuil, mai 2022 à Lorient.
Les Possédés d’Illfurth de Yann Verbrugh, les Solitaires intempestifs 2022.