La belle Meunière n’est pas seulement un vieux gréement ou un Lied de Schubert mais une compagnie, celle de Pierre Meunier, l’homme de plein vent, vérificateur des phares et balises aériennes. Lui et son compère, le terrien bonhomme André Pierre, arpentent la scène encombrée de boulons, tôles froissées, planches de chantiers pour y tenter de drôles d’expériences pataphysiques. Un tonneau en fonte se nourrit de projectiles qu’il recrache, cordages et poulies se font la malle sur le plateau jonché de matériaux. Car un combat désespéré s’y livre, une tentative pathétique de Léopold le prussien joué par Pierre Meunier de défier les lois de la pesanteur et de s’élever. Son compagnon d’infortune Kutsch, ancien contrôleur des poids et mesures, n’y croit pas mais au cas où voudrait en être. Le bougon n’est jamais avare d’une bonne histoire – il était une fois un grutier, sa fille et une locomotive — tout en nouant consciencieusement les lacets de son compère.
Entre Beckett et Chaplin, les duellistes transpirent, s’époumonent, livrent une véritable performance physique nous sommes en complicité avec eux, nous aussi aspirons au dépassement en même temps qu’à être au monde sur le plancher des vaches comme les 2 faces de la même pièce. « Tout ce qui ne monte pas tombe » disait Houdini qui se fichait pas mal des lois de la physique.
Poétique, insolite, métaphysique, voilà une forme de théâtre rare issue du cirque, on reconnaît l’influence de la Volière Dromesko, des clowns Fratellini et le héros de la Mancha n’est pas loin.
Pierre Meunier lutte contre les forces de nivellement depuis 25 ans, date de création de son spectacle. Il a vieilli, nous aussi mais on ne lâche rien, tient bon Léopold, on est avec toi.
Sylvie Boursier
Photo © Jean Pierre Estournet
L’homme de plein vent, mise en scène de Pierre Meunier et Marguerite Bordat
Théâtre de la Bastille jusqu’au 26 mai 2023.