Nous sommes en 1903. Mary McKenzie a vingt ans et quitte son Ecosse natale, seule avec sa gouvernante, pour rejoindre son futur époux nommé en Chine. C’est un bond vers l’inconnu et un destin hors du commun qui se dessine. A bord du bateau, Mary écoute avec intérêt les discussions de celles et ceux qui rejoignent le corps diplomatique à Pékin et à Shanghai. Conversations futiles mais aussi interrogations sur l’avenir de cette partie du monde où menace la guerre russo-japonaise annonciatrice des guerres du XXe siècle. L’intelligence de Mary capte les moindres mouvements de ce nouvel environnement. Ce sera un capital précieux.
Arrivée en Chine, elle doit très vite s’adapter à l’inconfort de sa demeure et se prêter au jeu des mondanités lors des réceptions données par les ambassades et les légations. Elle écoute, regarde et s’instruit des usages. Quelques mots de chinois et déjà des liens se tissent pour aboutir à des moments de vie incongrus, telle cette journée où elle s’enhardit à aller en ville faire le marché avec le domestique Yao. « Je me sentais fagotée dans mes vêtements, avec mes jupes bien trop longues… » « Il m’est apparu tout à coup que nous devions leur sembler bien étranges, avec leur style si dépouillé, nous qui ne sommes que chichis et falbalas ! … J’ai eu subitement envie de leur dire de me regarder tant qu’ils le voudraient, car j’étais effectivement un objet de curiosité. »
Très vite, une liaison avec un officier japonais lui fait prendre conscience que, comme elle le pressentait, son mariage n’est pas celui qu’elle avait espéré. Chassée de sa maison, elle quitte la Chine et arrive au Japon, où les difficultés qu’elle va rencontrer vont trouver un bel écho dans sa capacité d’adaptation. Elle décide de poser sa vie dans cet univers inconnu, étudie le japonais et noue une amitié avec une baronne, sorte de suffragette japonaise divorcée, sur laquelle elle va pouvoir compter dans l’adversité. Autonome, elle va au théâtre, lit beaucoup et, s’appuyant sur sa culture occidentale et sa connaissance de l’environnement japonais, fait face à ses interlocuteurs sans fausses notes. « Je commence à en savoir long sur les courbettes japonaises. On pourrait écrire un livre sur l’art des courbettes, qui est soumis à des règles encore plus strictes que la composition florale… »
Quant à la vie affective de Mary, pas de bonheur conventionnel mais une relation simple, sans promesses illusoires. Entre ces deux-là, les cultures s’affrontent, se questionnent et en même temps, se reconnaissent. Au fil des jours, Mary réussit à s’affranchir de la peur, celle des tremblements de terre, celle du quotidien qui devient de moins en moins favorable aux Occidentaux, celle de l’avenir incertain. « Il m’arrive de me sentir tout à fait anéantie… mais cela ne dure pas longtemps. »
Lors d’une promenade, elle aperçoit sa future maison… « cachée sous un épais toit de tuiles, au jardin cerné d’une barrière en bois affaissée et sur le point de s’effondrer par endroits… Je suis restée là à la contempler… » Plus tard, dans le jardin, elle découvre un arbuste chétif qui déplaît fortement au jardinier. « Sato vient de Kyushu où le climat presque subtropical donne beaucoup de variétés exotiques, mais il n’a jamais vu d’arbre de ce genre. Il dit avec une sorte de haine dans la voix que c’est une chose étrangère. En réalité, cet arbre tout à fait inoffensif ne pousse pas bien vite et a d’assez jolies feuilles pointues qui rougissent en automne. Quand on froisse une de ces feuilles entre les doigts, il se dégage une légère odeur de gingembre… » L’équilibre du monde s’effondre. Pour un temps encore, Mary est dans sa maison où « l’arbre à l’odeur de gingembre… reste un étranger obstiné » !… Un beau portrait de femme.
Elisabeth Dong
Une odeur de gingembre d‘Oswald Wynd, Folio