Miséricorde
d’Alain Guiraudie

Un Rabalaïre, en occitan est « un mec qui va à droite, à gauche, un homme qui aime bien aller chez les gens ». Dans Miséricorde il s’appelle Jérémie, revient dans son village du Gard pour l’enterrement de son ancien patron boulanger et en demeure prisonnier, ce fouille-merde va secouer une petite communauté confinée dont on devine peu à peu le passé commun.

Le film s’ouvre sur une mort et se clôt sur une autre, entre-temps on déguste une omelette aux morilles chez la veuve du boulanger, comme l’inspecteur Lavardin de Poulet au vinaigre se délectait d’œufs au plat sur lesquels il ajoutait généreusement du paprika. Morilles et cèpes poussent sur une terre fraîchement retournée et passablement vénéneuse, à plus d’un titre dans le film. La comparaison avec Chabrol s’arrête là car Guiraudie ne caquette pas sur les mœurs de ses semblables, il les suit au présent sans flash-back. On bascule chez Bernanos quand apparaît une sorte d’abbé Donissan cueilleur de champignons, un facteur Déodat échappé de La Jument verte à la soutane réversible qui arrive sans prévenir toujours au bon moment avec le mot et le sourire de circonstance. « Depuis quelques années, dit Guiraudie, je ressens fortement l’érotique de la religion catholique […] en me rapprochant de la mort, je sens que je vais me diriger vers une quête mystique ». Pas de satire chez lui, aucun surplomb vis-à-vis de ses personnages paumés mais vivants, des gros, des vieux, des paysans, des sexy et des moches dont il montre la sensualité, « La beauté cachée des laids, des laids » à la Gainsbourg, un Guiraudie en mode flambeur. Au confessionnal le curé avoue ses péchés à une brebis égarée, objet de son désir à jamais malheureux et lui enseignera le chemin d’une sublimation possible. Une scène comme ça, essorée de tout sentimentalisme, bouleversante sous des dehors paillards, rend bien fade la plupart des films vus cette année, qu’est ce qui nous est le plus opaque, la mort ou le désir ? Il y a du Dostoïevski chez ce cinéaste.

Miséricorde est giboyeux, burlesque, couillu sans baise et métaphysique sans dieu, un cinéma buissonnier, où hommes, plantes, minéraux et objets appartiennent au vivant régi par des lois physiques qui s’inspirent les unes des autres. Tout y est interdépendant, bruissant d’apparitions énigmatiques sur les ossements des morts. Le mal court, le désir aussi dans un écrin forestier à couper le souffle. Les nuages aux formes fantastiques et lumineuses, les firmaments de soie grise ou violette surplombent le vert, jaune, marron des collines mordorées autour de Millau.

Miséricorde !

Sylvie Boursier

Photo © Xavier Lambours
Rabalaïre d’Alain Guiraudie est édité chez P.O.L (2021)L

Affiche © Les Films du Losange