Lorette, dix-neuf ans, a disparu comme ça du jour au lendemain, sans crier gare, sans laisser d’adresse. Sa mère Hannah, percluse de douleur, traîne sa vie comme un boulet. Le vide s’est engouffré dans son existence. Un jour, Hannah croit apercevoir la silhouette de Lorette de l’autre côté de la rue. Cet événement va être le déclencheur d’un long travail de mémoire. Un parcours nécessaire pour mettre des mots sur ce drame intime. Cette plongée dans les méandres de la mémoire s’apparente à une cure analytique où les images s’enchaînent les unes après les autres, dévoilant peu à peu par la parole le sens du traumatisme familial. Hannah s’autorise enfin à accueillir les souvenirs de ce qui a été et ne sera plus. Elle qui avait cadenassé toute émergence de la mémoire pour se protéger de la douleur insoutenable ; elle qui a vécu comme un fantôme, abandonnant son activité de peintre qui pourtant représentait l’essentiel de sa vie…
La disparition de Lorette bouscule le destin d’Hannah, mais aussi celui de ses proches. Chacun d’entre eux trouvera l’occasion d’exprimer son rapport au temps : temps de la jeunesse, des réussites et des échecs, du bonheur et des ruptures, et donc de son rapport à la vie. Lydie par exemple, son amie de toujours, est emplie de nostalgie du temps passé, de l’époque où le temps ne comptait pas alors qu’à présent il lui est compté. Il se dilate moins, devient moins large. Hannah pense au mûrier de son enfance qui la rendait forte et paisible. Chaque personnage se frotte aux assauts du temps et des souvenirs d’enfance.
Laurence Tardieu joue tout au long de ce récit avec le temps. Le passé dame le pion au présent puis se superpose à lui dans une évocation d’images anciennes qui nourrissent l’instant présent. Fouiller dans son passé rend inévitablement mélancolique, mais faire barrage aux souvenirs revient à avancer le dos courbé, tant ces réminiscences sont lourdes et encombrantes.
Des dates précises jalonnent chacune des trois parties du récit, comme pour donner de la consistance, de l’épaisseur au temps, empêcher qu’il ne se fluidifie et nous échappe.
Les mots sont finement ciselés pour trouver leur place dans une phrase très travaillée ; leur puissance évocatrice nous emporte au fil d’un texte bouleversant de bout en bout.
Ce livre émouvant et lumineux donne envie de lire tous les autres romans de Laurence Tardieu.
Francine Klajnberg
Nous aurons été vivants, de Laurence Tardieu, Stock 2019
Photo © Pere Farre