Avec ce titre, Laurence Biberfeld nous prend à contre-pied car il ne s’agit pas du tout d’un roman sur des magouilles politico-financières avec des arrivistes prêts à tout, mais d’un très surprenant roman post-apo qui raconte un monde en décomposition, vu par une femme en rupture qui a rejoint une bande de coupeurs de clôtures, de libérateurs de bétail emprisonné dans des fermes sans agriculteurs. Cette histoire se double du récit de ce qui s’est passé deux ans auparavant, quand la narratrice découvre que son fils de dix-neuf ans, après avoir choisi de vivre avec son père à l’âge de quinze ans, est devenu un prédateur sexuel, sous la houlette de ce père. Elle raconte les visites au parloir pour voir son fils, sa volonté de comprendre ce qui s’est passé. Comment, pourquoi ce petit garçon si mignon est devenu si dangereux, si violent, si abject.
Dans le groupe de libérateurs, elle se lie particulièrement avec l’un des jeunes, celui qui fait les missions les plus dangereuses, habillé d’une combinaison et d’un masque à gaz, pour s’introduire dans les élevages où il reste peut-être des animaux vivants parmi les cadavres en putréfaction. Ce garçon chétif lui parle de sa vie d’avant, sa vie de victime, sans arrêt harcelé par des plus forts qui lui imposaient un esclavage sexuel.
Plus elle en sait et plus s’attache, et plus on se demande si ce monde, qui n’est pas si éloigné du nôtre, mérite de survivre, alors que les maladies qui rongent de plus en plus les uns et les autres annoncent la fin de l’humanité.
Laurence Biberfeld nous fait plonger dans cet univers terrible avec son écriture fluide, précisément évocatrice, ses images fortes, elle montre bien la passion qui anime chacun et construit une tension dont on ne peut se libérer. Il y a toujours chez Laurence Biberfeld cette rage à dénoncer un monde pervers, cette joie à vanter les bienfaits de la solidarité, du groupe soudé pour un dernier combat, on aime ce désespoir alimenté par la certitude que ça ne va s’arranger.
Le roman se termine en coup de tonnerre, les deux récits se rejoignent d’une façon que l’on n’avait pas prévue et on ne peut qu’être ébouriffé par cette virtuosité qui nous arrache un sourire, bien qu’on soit accablé de tristesse.
Panier de crabes est un roman court, percutant, qui fait réfléchir longtemps après sa fermeture, un roman à lire bien sûr.
François Muratet
Panier de crabes, de Laurence Biberfeld, Éditions In8, 2021
Illustration Gina Cubeles © 2021