À l’occasion du 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin, les éditions Fayard nous proposent un livre d’Ingo Schulze qui a été très bien reçu en Allemagne. Peter Holtz – Autobiographie d’une vie heureuse est un roman qui tient autant du conte philosophique que de la fable picaresque. Si l’auteur reste dans le genre Wende, comme dans Vies nouvelles, son personnage principal est un candide, dévoué corps et âme au régime de la République Démocratique Allemande, dont il prend les fondements au pied de la lettre.
Sous la forme de courtes saynètes, Peter Holtz – Autobiographie d’une vie heureuse nous conte la vie en RDA, la lutte pour faire tomber le régime après la chute du Rideau de fer, la « réunification » de l’Allemagne, la course au mirage qui a suivi, les espoirs devenus désillusions et les lendemains qui n’en finissent plus de déchanter dans une absurdité sans fin. Il nous rappelle au passage qu’une bonne partie de ceux qui avaient initié la lutte citoyenne qui a conduit à la chute du mur de Berlin voulaient garder les acquis sociaux de la RDA pour bâtir un socialisme à visage humain, et que la dite réunification de l’Allemagne a consisté, dans les faits, en une annexion pure et simple de la RDA par la RFA.
Peter Holtz – Autobiographie d’une vie heureuse est un énorme pavé dans la mare. Cinq cent pages qui en disent plus long sur un pan capital de l’histoire du XXe siècle, l’Allemagne d’aujourd’hui et le capitalisme qui nous ronge, que bien des essais sortis ces trente dernières années.
À travers deux exemples criants du fonctionnement du libéralisme dans ce qu’il a de plus obscène, la spéculation immobilière, et grotesque, la spéculation sur l’art, il démonte, par le regard d’un Peter Holtz, fidèle quoi qu’il advienne à ses idéaux de départ, un système dont le cynisme ne nous laisse aucune issue. Son candide est un révélateur. Sa manière d’être au monde sans fard et sans apprêt met immanquablement en lumière ce qui n’est pas lui. Dans cette apagogie, apparaissent comme dans un miroir les rouages de la dictature de la RDA, dans un premier temps, en permanente contradiction avec sa constitution même, et ceux d’un système basé sur l’économie de marché, ensuite, dont la violence intrinsèque est mise en lumière de manière magistrale à la fin du livre.
Sous les dehors aimables d’une parodie mêlant allègrement inversion, détournement, satire et humour noir, qui n’épargne ni la RDA, ni la réunification, Ingo Schulze livre une charge magistrale contre le libéralisme sans merci qui dévore notre temps.
Un roman intelligent, drôle, et instructif.
Kits Hilaire
Peter Holtz – Autobiographie d’une vie heureuse d’Ingo Schulze, Fayard 2019
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