Au tout début étaient Las Islas Mujeres au Mexique en juillet 1976, ou bien l’enfance et l’adolescence en Algérie. Époque bénie où Annie Cohen avalait la vie à grandes goulées. Puis est venu l’AVC et ses séquelles neurologiques et, pire encore, la maladie maniaco-dépressive et le désinvestissement de la vie.
Dans la phase maniaque, celle du désir et des dépenses compulsives, les phrases sont encore structurées. La pensée s’élabore dans une syntaxe grammaticalement logique. Parfois l’écriture éclate dans tous les sens. Les pensées s’imposent et dictent leurs lois, rapides, insistantes comme une urgence. On imagine déjà les ravages de la maladie. Le chaos psychique. Des phrases courtes comme une respiration haletante. Un manque à vivre. « Toute une vie marquée d’écriture, de dépression et de réappropriation. » Le hachich qui accompagne l’écrivaine est un ami pacificateur. Elle garde tout le temps une conscience aiguë de la mort prochaine : « J’ai aimé ma vie d’écriture. J’ai souffert beaucoup mais j’ai aimé. » La dépression conduit à la mort. Elle pense à Chantal Akerman, cinéaste qui s’est suicidée en octobre 2015 hantée par la tragédie familiale de la Shoah.
Annie Cohen raconte la maladie comme jamais elle n’a été racontée. Au plus près des émotions, des désordres psychiques, des désastres physiques. Le cortège de migraines de folie. La dissociation avec le réel. L’enfermement et la tentative de se réapproprier ce réel. De se réconcilier avec la vie. Habiter la judéité de ses origines. Elle développe d’ailleurs une activité plastique sous forme de rouleaux d’écriture. Ce sera sa Torah à elle.
Elle parle peu de sa relation de couple avec F. B., sauf pour dire combien elle se sent heureuse avec lui, combien elle se laisse prendre en charge comme le ferait un enfant avec sa mère. On sait que son mari fait des films, écrit. Ainsi tous les deux sont créateurs.
L’authenticité de chaque phrase nous étrangle, on est submergé par l’émotion. Chaque mot est juste, juste pour décrire l’abattement, le confinement dans sa chambre, juste aussi pour nous faire partager sa quête d’une aurore à venir.
Francine Klajnberg
Puisque voici l’aurore de Annie Cohen, éditions des femmes – Antoinette Fouque 2020
Photo © Adèle O’Longh