Naná Howton a grandi dans une petite ville brésilienne comme celle du roman où, pendant la saison des feux qui se déroulait deux fois par an, lorsque les cannes à sucre étaient brûlées pour faciliter les récoltes, les particules de cendre recouvraient tout.
Le récit se déroule dans les années 1970, durant la dictature militaire. Pour ce qui est de la misère, il pourrait tout aussi bien se dérouler aujourd’hui : les personnes employées dans les plantations de canne à sucre sont encore souvent en prise au travail forcé et les récoltes se sont multipliées en alternant les variétés de cannes sur une terre que les propriétaires surexploitent avant de la laisser pour morte. Les feux s’intensifient, affectant faune, flore, et humains – plus particulièrement les enfants et les personnes âgées.
Smiley et Porcelaine, les deux principales protagonistes du roman, sont justement des enfants. Les feux font tousser la petite, Porcelaine, et sa grande sœur doit lui passer une serviette humide sur les paupières pour décoller ses cils le matin. Après avoir vécu dans le bordel où leur mère se prostituait, elles ont été mises à l’orphelinat avant d’être renvoyées par manque de place et de se retrouver seules dans un taudis en périphérie de la ville, près des champs, mourant de faim jusqu’à ce que Smiley décide d’entraîner Porcelaine dans un voyage en stop pour retrouver leur père.
De camion en camion, Smiley doit jurer qu’elles sont catholiques et vierges à des hommes qui peinent à le croire mais, dans le doute, n’abusent pas d’elles – afin de ne pas pécher devant le Jésus qui orne leur cabine. Les routiers s’échangent des messages radio : les filles sont des papillons, pas des phalènes, ils ne doivent donc pas y toucher.
Lorsque le livre commence, Smiley a quinze ans et elle s’empare d’un pistolet dont le poids l’étonne. Il est très lourd dans sa main de jeune fille et elle le braque sur la tempe d’un homme recroquevillé qui se balance en gémissant. Autour d’eux, « une bande de types avides de lynchage », chauffeurs routiers comme celui qui lui a passé le Taurus qu’elle tient fermement, l’encouragent à faire justice.
« « Tais-toi », ordonna-t-elle à l’homme en lui enfilant le canon dans la bouche alors qu’il l’ouvrait à nouveau pour parler. Avant qu’elle réalise avoir pressé la détente, il y eut un terrible bang, le bruit du coup de feu sembla amplifié, il résonna comme l’écho de son échec à protéger sa sœur. »
Naná Howton, activiste féministe, dit décrire le sexisme et la domination masculine dans l’Amérique latine. Le livre, en partie autobiographique, raconte une histoire qui est, selon elle, le reflet de la violence qui sévit dans le pays.
Saison des feux est un premier et long roman. Très réussi.
Kits Hilaire
Saisons des feux de Naná Howton, éditions Des Femmes – Antoinette Fouque, 2023
Gina Cubeles 5 © 2023