SAJ, Une enquête de Laia May
d’Adèle O’Longh

« NI OUBLI, NI PARDON, NAOMÍ ON SE SOUVIENT DE TOI. SAJ ».

Tout commence par cette inscription peinte sur un mur de Barcelone.
Problème : le signataire, SAJ est un groupe de lanceurs d’alerte aux méthodes radicales et illégales : dénonciations publiques (toujours sur preuves), étalages de dossiers compromettants, incendies de véhicules, dynamitages… tout est bon pour dévoiler au grand public l’identité des auteurs de viols, incestes, harcèlements et tout autre crime commis sur des femmes ou des enfants, jusqu’à ce que la justice ne puisse pas faire autrement que prendre les choses en main. Or, cette fois, l’inscription n’est accompagnée d’aucune autre action et elle n’a pas les caractéristiques habituelles. Se pourrait-il qu’une personne se soit fait passer pour SAJ afin de révéler une affaire sans avoir au préalable accumulé les preuves nécessaires ? Toujours est-il qu’il existe bien une victime : Naomi, une adolescente de 15 ans qui s’est suicidée dans les toilettes de son collège.

Vargas, un policier dégoûté par l’impuissance de la justice dans les affaires de crimes à caractère sexuel – sous prétexte qu’elle manque de preuves concrètes, de témoignages, etc. -, décide de faire appel à Laia May, vice-championne de kung-fu et ex-policière – elle fut autrefois sa collègue – devenue nonne zen, et qui a monté sa propre agence de détectives privées, la Zen Observing Investigations. Épaulée par Flor, détective de terrain, et Roberto, leur secrétaire, Laia enquête sur les mêmes types de crimes que ceux visés par SAJ, à la différence qu’elle agit dans la légalité. Elle accepte de s’occuper de l’affaire apportée par Vargas pour deux raisons : découvrir quels crimes couvre le suicide de Naomi et tenter d’éviter à SAJ de faire le faux pas de trop. Car si elle apprécie la démarche du groupe d’alerte, elle craint que ses agissements illégaux finissent par le faire tomber. En effet, il va de soi que la justice se préoccupe beaucoup plus des actions de ce groupe radical qui défie son autorité que des victimes d’affaires de crimes sexuels.
D’ailleurs Z.O.I enquête également sur un autre cas mis en lumière par S.A.J : Julia, une femme incarcérée et mise en examen pour complicité avec son mari accusé de viols répétés sur son fils. Laia May est convaincue que Julia n’est pas complice de ces crimes et que si elle ne les a pas dénoncés, c’est qu’il y a une raison. Peut-être que derrière ce cas simple en apparence se cache une plus grosse affaire ? Flor infiltre la prison en se faisant passer pour une détenue afin d’approcher Julia pour en savoir plus.

Le roman met en scène des femmes fortes qui agissent pour sortir les victimes de l’ornière, et des victimes qui sortent victorieuses du dur combat qu’elles mènent parfois contre elles-mêmes (et le regard qu’on porte sur elles). En cela, le livre se situe résolument du côté des solutions, de la joie de vivre encore possible. Il n’enferme pas les victimes et les bourreaux dans des rôles préétablis et hiératiques, où le mal-être sans issue des premières répondrait à la simplification souvent caricaturale des seconds. Ce qui n’empêche pas Adèle O’ Longh de traiter de ce qu’il advient de victimes qui ne parviennent pas à se libérer de leurs traumatismes. Mais par son style, le choix de personnages hauts en couleurs et l’usage d’un humour délicat, elle rejette tout misérabilisme. Le sujet est grave mais, tout comme Rose, la femme qui accueille Z.O.I dans ses murs et cultive des roses uniques en leur genre, Adèle O’ Longh nous rappelle que chaque être humain est lui aussi unique en son genre et peut finir par s’épanouir, quel que soit le fumier sur lequel il a poussé. Ainsi, grâce à son ton décalé, son parti pris d’allers-retours tragicomiques et ses personnages pétris d’amour, ce roman nous aide à penser dans un sourire que oui, tout, toujours, est possible. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.

Christian Roux

SAJ, Une enquête de Laia May, Adèle O’Longh, Après la Lune 2025

Illustration © Gina Cubeles A Macro Micro Terra Détail