Un silence vacillant, celui qui se perd, s’effiloche, cherche son chemin pour faire advenir les mots. Le silence est toujours absence.
Marie-Claire rend visite à sa vieille mère condamnée à finir sa vie en maison de retraite. Elle l’interroge sur l’histoire de son grand-père mort il y a longtemps et dont personne ne parle. Sa mère s’enferme dans un silence têtu. Elle ne veut plus se souvenir de la mort de son propre père, ou bien on lui en a caché les circonstances ou alors ce serait trop douloureux d’apprendre la vérité. Tant de mensonges circulent dans cette famille, « des questions du passé brûlaient les lèvres mais il ne fallait pas en parler ». Des secrets familiaux perpétués de génération en génération. On a peur de ses morts, on n’arrive pas à en parler mais on les porte comme un fardeau. Le silence en creux fait le lit des pires imaginations, chez l’enfant comme chez l’adulte.
Comment se construire quand l’histoire familiale s’est arrêtée en chemin. Quand les mots ont manqué.
L’auteure part en quête de tous ces morts pour construire un roman familial, « avoir été ou n’avoir pas été sur Terre, quand il n’y a plus aucune trace, seul un témoin peut en attester ». Elle mène une enquête minutieuse, accumulant le moindre fait, le moindre indice. Comme une historienne elle s’intéresse aux événements avérés.
Des faits auxquels il faudra donner une âme, un semblant de réalité. On navigue entre les « peut-être, sans doute », dans une incertitude paralysante. Pour aller de l’avant, il faut anticiper un but et pouvoir se retourner pour voir le chemin parcouru.
Avec une infinie délicatesse, elle raconte sa relation douloureuse à sa mère, celle des non-dits, des reproches, des interdits, et son amour pour elle « on a l’air bête, à soixante-cinq ans, de pleurer la tendresse de sa mère, la tendresse que l’on n’a jamais connue de sa mère, la tendresse que personne à sa place n’a jamais pu nous donner. Parce que, ce qu’on voulait, c’était sa tendresse à elle ».
Marie-Claire, par ce travail de mémoire, fait revivre son grand-père « par la magie du récit reconstruit dans ses dernières heures, quelques trouvailles, une date, une heure, une adresse, des noms ». Les pièces du puzzle s’assemblent sous nos yeux.
Tout enchante dans ce récit : une écriture puissante, des phrases que l’on se répète pour ne pas les oublier, des phrases que l’on aurait aimé inventer soi-même pour décrire le silence des liens familiaux et la relation entre une mère et sa fille quand sonne l’heure de l’irrémédiable séparation.
Francine Klajnberg
Tout cela de Marie-Claire Mir, Société des écrivains, 2017
Photo © Pere Farré