Pareille à une petite musique de chambre, la voix de François Truffaut s’installe au fil des lettres choisies par David Nathanson, qui met en scène et joue ce spectacle. C’est notre Truffaut, le François intime, qui apparait en creux, celui qu’on aurait aimé rencontrer tant sa correspondance montre d’intelligence, de finesse et de drôlerie. Il surprend parfois; il soutient que Simenon est un écrivain supérieur à Camus. Sa description de la vente du journal La cause du peuple en compagnie de Sartre et Simone de Beauvoir est savoureuse.
Ce ciné-fils manifeste une grande empathie pour ses amis en détresse, comme en témoigne son très beau courrier sur la dépression adressé à Jean Louis Bory, qui s’est suicidé en 1979. Il se dépeint en spectateur passionné et non en homme blasé, contrairement à Jean Luc Godard qu’il décrit comme une sorte de gourou méprisant. Mais surtout, on écoute le cinéaste de l’enfance. Ses lettres les plus émouvantes y sont consacrées. La sienne d’abord, qu’il décrit comme bien pire que celle de Jean Pierre Léaud dans Les 400 coups, et celle qu’il rejoue à travers les relations avec ses enfants. Il n’aura de cesse de condamner les violences faites aux enfants, de montrer que la résilience est possible, que la vie est riche d’opportunités pour les mineurs délinquants, s’ils trouvent sur leur chemin des pères de substitution. André Bazin en fut un pour lui.
Le comédien adopte le ton juste, la délicatesse qui s’impose pour l’époque révolue qu’il admire, celle de ses parents manifestement, où écrire des lettres était un exercice littéraire, « Je ne peux me passer d’écrire, dit Truffaut, (…) je Sévigne, nous Sévignons (…) j’écris 5 lettres par jour ».
Cher François et cher Antoine Doisnel, permettez-moi d’emprunter à mon tour la forme épistolaire. Je vous écris d’un monde où vous n’êtes plus. Votre regard perdu offert à la caméra sur une plage improbable à la toute dernière image des 400 coups reste un de nos plus beaux moments de cinéma…
Sylvie Boursier
Photo © luca lomazzi
Truffaut Correspondance du 01/12/2021 au 25/02/2022 à la Manufacture Des Abbesses, 7, Rue Véron, 75018 Paris.
François Truffaut Correspondance, Le livre de poche 1993.