Miracle à Santa Anna
de James McBride

Le pire et le meilleur, la guerre et la grâce.

On entre dans ce livre comme on visite une église, un temple, un mausolée. Bien que les faits se déroulent en extérieur, dans des vallées et des montagnes, des champs enneigés, et dans quelques intérieurs très modestes, des campements militaires, l’église d’un village ou encore la petite maison d’un paysan, nous sommes comme projetés dans un bâtiment sacré, un vaisseau peut-être, dont la charpente est immensément haute, la lumière comptée et le silence assourdissant. Cette impression vient peut-être des vies étouffées, des destins qu’un seul mot bouleverse, de la faiblesse, de la bêtise, enfin, de l’égoïsme des hommes. Et l’on se demande progressivement ce qui préside à ces destins, quel bon sens peut les épargner quand la fatalité broie plus souvent qu’elle ne sauve. Il y a chez cet auteur une conviction absolue que ce n’est pas la durée de la vie qui compte mais son utilité.

C’est un récit très visuel, les soldats « noirs » et « blancs », du chocolat, des uniformes kaki, la neige, une robe rouge, du sang, mais aussi des cheveux blonds ou noirs, des yeux profonds. Si bien que l’on comprend qu’un réalisateur ait pu facilement imaginer le film du livre.

Il s’agit d’un hommage mémoriel porté par un narrateur pétri de foi, qui nous embarque dans ce bâtiment sacré, dont nous avons l’intuition et où il se produit un grand drame qui sera oublié : des centaines de milliers de morts pour rien et moins encore, puisqu’ils ont été oubliés par l’Histoire officielle. La raison de cet oubli, c’est la couleur de la peau. Dans un contexte d’exploitation permanent d’une couleur par une autre, d’injustice absurde, le récit nous plonge dans une relation inattendue et merveilleuse entre deux cultures. La grâce qui accompagne quelques « miracles » dans ce livre pourrait tenir tout entière dans la caresse délicate et hallucinée de la faible main d’un enfant blanc mourant. Mais il y a plus que cela, les personnages sont fabuleusement vivants, torturés ou sereins, mutilés, amoureux, perfides, tendres. Ils sont étonnants, touchants, révoltants tout au long de la lecture, si bien que le livre se prolonge dans notre esprit, y maintenant une lumière douce-amère.

Notons que la nouvelle Le bal de Noël, du recueil Le vent et le lion, qui est peut-être à l’origine du roman, vaut le détour. C’est une histoire courte et touchante dont le ressort tient à presque rien, comme souvent chez cet auteur. Quelques minutes une fois par an, de puissants sentiments qui n’attendent que la disparition des êtres pour s’évaporer à tout jamais.

Alegría Tennessie

Miracle à Santa Anna de James McBride, Gallmeister 2017