Allez Reboux,
une dernière manif’,
pour la route !

Île aux Moines août 2021

J’ai perdu mes lunettes
et la marée monte.
Alors je cours,
Je cours,
Je cours sur le sentier,
Je plaque les bipèdes bronzés contre les ronces,
Je vole au-dessus d’eux,
Je prie Notre Dame des Poules comme jamais elle ne fut priée :
« Notre Dame des Poules, vous qui êtes dans la mer, vous qui savez pourquoi je cours, je vous en prie, faites que la marée s’arrête. »

Et la marée s’arrête, juste là, près du sentier.
Je fouille dans sa bave, son trifouillis d’algues, ses culs de bouteille patinés, ses chapeaux chinois décapités, je dégote mes lunettes.
Je peux maintenant écrire, la tête tournée vers les ronds du ciel :

« L’ami Reboux c’est, il y a quelque trente ans et des marées, ce jeune écrivain de polar qui pour illustrer le programme des auteurs du salon du Livre du Mans, m’avait envoyé la photo de sa carte de cantine,
L’ami Reboux c’est le choc, le jour du salon, de voir débouler ce grand gars souriant, le sosie d’un autre Jean-Jacques, frérot mien, qui avait tourné la carte peu de temps avant. L’ami Reboux c’est le Tonton de ma tribu,
L’ami Reboux c’est mon fiancé des manifs, le poing levé et le slogan pétant, c’est l’anar, la colère sur pattes face à l’injustice, la haine viscérale de la police, l’ergot acéré prêt à déchirer tout ce qui porte uniforme,
L’ami Reboux c’est le dénicheur d’auteurs, l’enthousiaste, le fantasque, la tête de pioche, l’amoureux de la littérature, le complice, l’ami fidèle, la déconnade,
L’ami Reboux c’est la boule lumineuse multicolore, clou de la soirée de ses 60 ans… »

Un rond, un autre rond, encore un rond,
Une heure passée à les regarder et à scriturer.
Pendant ce temps
Ça a causé entre là-haut et en bas.

Sur le chemin, tandis que l’armada de CRS suffoque dans les bras des méduses,
Que les berniques dessinent sur les rochers des slogans bien pétants, les goélands bossent comme des fous : le tas de prunelles, dures comme des billes (le gel n’est pas encore passé), grossit à vue d’œil derrière les rochers.

Tron de sort !
Ça s’organise aussi dans les parcs à huîtres,
Mille chapelets de bombes !
On trait les seiches à l’atelier banderoles, tandis que des îles voisines des tourteaux écarlates aux guiboles gonflées à l’hélium arrivent en renfort.

C’est l’émeute.

Là-haut, peinard, Reboux se marre.

Et moi ? Hein ? Et moi ?
Car cré bon sang ça recommence !
Voilà la marée qui rapplique.

Cette fois pas la peine de prier le ciel,
Notre Dame des Poules s’est tirée depuis belle lurette,
Je lâche l’affaire.

Alors glou, glou, glou, glou, glou, glou et glou,
Adios l’ami Reboux                                                                        

Christine Daunis